Bourses ERC

Jakob Ruess, inventeur de nouveaux modèles pour la biologie cellulaire

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Mis à jour le 25/11/2022
Jakob Ruess, chercheur en mathématiques appliquées à la biologie au sein de l’équipe-projet InBio, vient de remporter une bourse européenne ERC Starting Grant. Grâce à cette récompense, il va pouvoir explorer dans les cinq prochaines années une nouvelle approche pour la modélisation mathématique des processus cellulaires via le projet "Bridging-Scales".

Des méthodes mathématiques pour la biologie

La fin 2022 apporte une belle nouvelle à Jakob Ruess, chercheur de l’équipe-projet InBio, commune à Inria et l’Institut Pasteur : il est lauréat de la prestigieuse bourse ERC Starting Grant. Décernée chaque année par le Conseil européen de la recherche (European Research Council, ERC), cette bourse récompense des scientifiques aux idées novatrices, alors qu’ils démarrent leur propre programme de recherche indépendant. Elle leur permet de constituer une équipe de recherche autour d’un thème original.

Jakob Ruess la reçoit pour "Bridging-Scales", un projet centré autour de la modélisation mathématique des processus cellulaires, sujet auquel il s’intéresse depuis son doctorat. « J’ai entamé mon cursus de chercheur par des études en mathématiques, un domaine qui m’a toujours fasciné, confie-t-il. Tout d’abord passionné par les questions théoriques de cette discipline, en particulier liées à la modélisation de processus aléatoires (ou "stochastiques"), je me suis tourné, avec mes recherches doctorales, vers des applications des mathématiques à la biologie. »

Les processus stochastiques au cœur du vivant

Sa thèse concernait la modélisation stochastique des processus cellulaires, un domaine que le scientifique explore dans toute sa complexité. Dans le vivant, au cœur des cellules, tout est réaction chimique, de l’activation d’un gène à la production d’une protéine.

Le hasard joue un rôle prépondérant dans les systèmes unicellulaires car on constate que deux cellules parfaitement identiques peuvent avoir des dynamiques différentes, souligne le chercheur. Cette hétérogénéité comportementale peut expliquer, par exemple, certaines formes de résistance bactérienne aux antibiotiques et parfois des réponses différentes des cellules cancéreuses aux traitements.

Comprendre le comportement individuel d’une cellule et la dynamique d’un ensemble de cellules identiques s’avère donc crucial pour de nombreuses applications en médecine ou en biologie de synthèse – ce domaine scientifique et biotechnologique émergent qui combine biologie et ingénierie, dans le but de construire et produire de nouveaux systèmes et fonctions biologiques. Par exemple, les scientifiques cherchent à concevoir des "oscillateurs biologiques", équivalents à leurs homologues mécaniques (comme des ressorts) ou électriques (comme des transistors) largement répandus dans nos moteurs, nos ordinateurs ou nos téléphones.

Des systèmes difficiles à contrôler

Ainsi, de tels systèmes biologiques seraient capables de produire, de façon périodique et régulière, un composé chimique utile au traitement d’une maladie. Mais si les chercheurs savent concevoir des systèmes pilotant le comportement d’une cellule, il s’avère très difficile de contrôler et synchroniser un grand nombre de cellules. En cause : l’hétérogénéité et l’interdépendance de leurs comportements individuels.

« Il existe intrinsèquement un fort couplage entre les processus unicellulaires et la dynamique d’une population de cellules. Les recherches s’intéressent à l’un ou à l’autre de ces aspects, mais rarement à leurs interactions, explique Jakob Ruess. L’objectif du projet "Bridging-Scales" ("coupler les échelles") est précisément de comprendre ces interactions, en s’appuyant sur le couplage de modélisations mathématiques adaptées, d’une part à la modélisation stochastique des processus unicellulaires, d’autre part à la description de la dynamique de populations cellulaires. »

Des applications aux biotechnologies

C’est l’originalité et l’ambition scientifique de ce projet qu’encourage la bourse ERC Starting Grant. Dotée d’un budget de 1,5 million d’euros pour les cinq prochaines années, elle donnera au chercheur l’opportunité d’explorer cette nouvelle voie de recherche. Sur le plan théorique, il va pouvoir développer de nouvelles méthodes mathématiques pour simuler des systèmes biologiques et identifier les paramètres pilotant leurs évolutions L’objectif est aussi de trouver des applications aux recherches en biotechnologies, en particulier en utilisant les systèmes "optogénétiques" (qui réagissent à la lumière, produisant par exemple une protéine lorsque soumis à un rayonnement lumineux).

À la veille d’engager ce projet, Jakob Ruess ne cache pas sa satisfaction, car l’attribution de cette bourse résulte d’une sélection particulièrement exigeante. « J’ai travaillé pendant de longues semaines en fin d’année dernière à la rédaction du projet, y consacrant même mon réveillon du Nouvel An ! », se souvient-il. Tout au long du processus de candidature, il a, en outre, pu compter sur un accompagnement constant et un soutien décisif de la part d’Inria, en particulier pour la relecture du document de projet ou la préparation des entretiens avec le jury de sélection.

Des recherches conduites en équipe

La bourse ne récompense pas seulement son audace scientifique, mais elle l’encourage aussi à constituer une équipe : « C’est une chance unique dans une carrière de bénéficier de moyens permettant de définir un projet et de choisir les collaborateurs pour y contribuer », conclut-il.

Les défis qui attendent le chercheur et sa future équipe sont nombreux, car s’attaquer à la modélisation du vivant n’est pas une mince affaire ! Mais c’est justement cette complexité qui motive depuis longtemps Jakob Ruess. Il a maintenant toutes les cartes en main pour commencer à relever ces défis et engager une nouvelle étape de sa carrière !  

Jakob Ruess en quelques dates clés

  • 2010 : Diplôme d’études (master) en mathématiques à l’Université d’Heidelberg (Allemagne).
  • 2012 : Prix du meilleur article jeune chercheur, décerné par l’Institut Suisse de bioinformatique.
  • 2014 : Doctorat à l’École polytechnique fédérale (ETH) de Zurich, au sein du Laboratoire d’automatique et de contrôle.
  • 2015 : Médaille de thèse de l’ETH.
  • 2014-2016 : Postdoctorat à l’Institut autrichien des sciences et technologies.
  • 2016 : Jakob Ruess rejoint Inria, au sein des équipes Lifeware puis InBio. Il reçoit en 2018 une prime d’encadrement doctoral et de recherche (PEDR) attribuée par Inria pour quatre ans.

InBio, une équipe pluridisciplinaire en biologie et mathématiques

Jakob Ruess est, avec Grégory Batt, l’un des piliers d’InBio, équipe commune entre Inria et l’Institut Pasteur, dont l’interdisciplinarité des recherches est internationalement reconnue. Les chercheurs combinent des approches expérimentales en biologie et des méthodes mathématiques, fondées sur la théorie du contrôle, la modélisation de processus stochastiques ou de problèmes statistiques et des techniques d’apprentissage actif, pour les appliquer par exemple à la biologie de synthèse, pour des usages en agropharmaceutique, chimie, santé, médecine, etc.

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