Science du vivant

MUSCA, des experts en modélisation multiéchelle pour la biologie

Date:
Mis à jour le 08/09/2022
Née d’un intérêt pour la biologie de la reproduction, l’équipe-projet MUSCA s’est spécialisée en méthodologie de la modélisation mathématique appliquée à des processus biologiques complexes. Ces recherches contribuent à mieux comprendre certains changements physiologiques au cœur de questions de société. Le projet OVOPAUSE a d'ailleurs obtenu le soutien de l'Agence nationale pour la recherche.
Coup de projecteur sur les activités de l'équipe.
Image d'un follicule ovarien
© BSIP

Un pont entre mathématiques et biologie

Ici, pas question pour les biologistes de se limiter à transmettre des jeux de données aux mathématiciens, ou inversement pour les modélisateurs de chercher à appliquer tels quels leurs résultats. Toute la recherche y est affaire de coconstruction. À l’origine de l’équipe-projet MUSCA, il y a deux trajectoires en miroir, celle de Frédérique Clément, biomathématicienne de formation vétérinaire, devenue directrice de recherche Inria, et celle de Romain Yvinec, mathématicien, recruté dans l’unité mixte CNRS-INRAE-Université de Tours "Physiologie de la Reproduction et  des Comportements", au sein de BIOS, une équipe engagée dans une démarche innovante de biologie des systèmes.

Après avoir rejoint Inria, Frédérique Clément a développé son réseau de collaborations et a commencé à interagir notamment avec Béatrice Laroche, devenue depuis directrice de recherche dans l’unité MaiAGE à l'INRAE. En 2020, se formalise donc MUSCA, une équipe-projet commune Inria-INRAE-CNRS, composée de collaborateurs de longue date de BIOS et MaiAGE.

La cellule comme pivot

MUSCA, c’est aussi…

Au-delà de la biologie de la reproduction, les chercheurs de l’équipe-projet s’intéressent également aux phénomènes de dynamiques cellulaires en jeu dans la neurogénèse, la différenciation des lignées de cellules sanguines… « En clair, nous abordons plus précisément ce qui est du ressort de la biologie cellulaire, de la biologie du développement, et de la signalisation cellulaire » liste Frédérique Clément.

Une thématique majeure de l’équipe, portée par Béatrice Laroche, est celle de l’écophysiologie digestive : les interactions entre l’ensemble des microbes hébergés dans la lumière du tube digestif, et l’épithélium du gros intestin de son hôte. Ce dialogue, complexe, implique de nombreux processus de régulation qui touchent la santé et le bien-être. Des projets successifs ont permis de développer un modèle mathématique de l’interaction entre les cellules épithéliales et le microbiote, qui tient notamment compte de la géométrie et de l’organisation cellulaire et spatiale très particulières de l’épithélium intestinal.

MUSCA est dédiée à la modélisation mathématique multiéchelle de processus physiologiques. Sa spécificité ? Se centrer sur la cellule comme unité d’organisation du vivant, et de ce qui se passe au niveau supérieur, à l’échelle d’un organe, ou d’un ensemble d’organes, et au niveau inférieur, à l’intérieur des cellules.

Cette approche, mécaniste, fait le lien entre les processus intracellulaires et le fonctionnement des tissus et organes. Les cellules intègrent en effet les informations issues des réseaux intracellulaires, en réponse aux signaux présents dans leur environnement (hormones, métabolites). Et c’est la dynamique collective des cellules qui soutient les fonctions biologiques, et assure la coordination entre organes au sein de boucles de rétroactions.

« Ce que nous faisons, c’est de la biologie des systèmes couplée avec de la dynamique cellulaire. En effectuant des allers-retours entre modèles et données biologiques, nous essayons de prendre en compte les interactions entre les différentes composantes d’un système, et nous les intégrons dans une compréhension globale grâce à la modélisation mathématique », commente Romain Yvinec.

Un savoir-faire : développer des formalismes adéquats

Contrairement aux modèles classiques de signalisation cellulaire qui considèrent la cellule comme un grand sac où les molécules se rencontrent aléatoirement, MUSCA s’appuie sur les connaissances les plus récentes, qui ont permis de prendre conscience de l’importance de la structuration spatiale de la cellule. Il y existe en effet différents compartiments, qui peuvent grossir, se diviser ou fusionner, et leur comportement va avoir un impact sur la signalisation cellulaire, et donc in fine sur la réponse cellulaire.

Cette complexité spatio-temporelle des réseaux intracellulaires et leur décodage par la cellule pour prendre une décision (proliférer ou se différencier par exemple) a donné lieu à une action exploratoire développée par Romain Yvinec, COMPARTIMENTAGE. Son objectif : « développer des formalismes adaptés à la modélisation de compartiments intracellulaires très dynamiques, qui influencent les cascades de réactions biochimiques provoquées par des signaux extracellulaires ».

Et c’est là tout l’art de l’équipe-projet MUSCA. Savoir formaliser, effectuer une étude strictement mathématique des modèles, savoir les manipuler numériquement, être en mesure d’estimer les paramètres des modèles mathématiques pour les faire coller aux connaissances biologiques… Moins spécialisée que d’autres équipes, « MUSCA est avant tout une équipe de méthodologie de la modélisation », selon le mot de Béatrice Laroche. Sa force tient en effet à sa capacité à créer de nouveaux outils mathématiques, quand l’état de l’art ne permet pas de traiter les problèmes complexes soulevés par les processus physiologiques.

Un thème de prédilection, la reproduction

L’un des principaux objets d’étude de l’équipe est le système reproducteur. C’était déjà le sujet, à la fin des années 1990, de la thèse de Frédérique Clément : « Il faut bien se rendre compte qu’il y a toute la biologie dans la reproduction, souligne-t-elle. Suivant la fonction qu’on observe, on va faire de la biologie moléculaire, de la physiologie, de la neurobiologie… C’est un champ extrêmement vaste ». Cet éventail de disciplines se retrouve d’ailleurs dans le groupement de recherche REPRO, dont Frédérique Clément et Romain Yvinec sont des membres actifs.

Illustration de la croissance des ovocytes
© Musca
Illustration de la croissance des ovocytes

Parmi les travaux de l’équipe, un axe vise à expliquer l’évolution de la population de gamètes femelles (ovocytes) depuis la période embryonnaire jusqu’à la fin de la vie reproductive. L’imagerie clinique non invasive étant très peu informative sur cette question, l’étude d’animaux modèles (souris, poisson, brebis par exemple) permet de palier la difficulté à obtenir des informations quantitatives sur les effectifs des gamètes.

Cet axe se fonde sur des modèles mathématiques de dynamiques des populations, qui permettent de suivre la diminution du stock initial de follicules ovariens et la distribution des follicules selon les stades de maturation, jusqu’à l’ovulation. Leur compréhension pourrait aider à préserver le capital reproducteur et à prolonger la durée de vie reproductive, des enjeux importants pour nos sociétés occidentales modernes, qui ont motivé le projet OVOPAUSE retenu par l’Agence nationale pour la recherche (ANR).

Le saviez-vous ?

  • Chez les mammifères, la population folliculaire est entièrement constituée en période périnatale et va décroître au long de la vie, alors que cette population peut être renouvelée chez d’autres classes zoologiques (c’est le cas par exemple pour certaines espèces de poissons).
  • Dans l’espèce humaine, un follicule ovarien n’a qu’une chance sur 1 000 d’arriver à l’ovulation ; les autres follicules dégénèrent et disparaissent au cours de leur maturation, mais ils participent aux dialogues hormonaux contrôlant la fonction ovarienne.
  • Le développement folliculaire est marqué par des processus de prolifération cellulaire et de vascularisation intense aussi rencontrés dans la croissance tumorale, mais parfaitement contrôlés.

Frédérique Clément en quelques dates et publications marquantes

  • 1995 : docteur vétérinaire de l’École nationale vétérinaire d’Alfort
  • 1997 : doctorat en biomathématiques de l’Université Paris 7
  • 1999 : recrutement dans l’équipe-projet Inria SOSSO  
  • 2005 : HDR en mathématiques et interactions à l’université Paris 6
  • 2002-2006 : coordinatrice de l’action concertée incitative (ACI), puis de l’action de recherche collaborative (ARC) REGLO (REGuLation de l’Ovulation)
  • 2009-2013 : responsable de l’action REGATE (REgulation de l’axe GonAdoTropE)
  • 2013-2017 : responsable de l’équipe-projet Inria MYCENAE
  • Depuis 2020 : responsable de l’équipe-projet commune Inria-INRAE-CNRS MUSCA

Quelques-uns de ses articles sur le système reproducteur (en anglais) :