L’imagerie haute résolution cartographie le cerveau humain pour créer un atlas des fonctions cognitives cérébrales

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Mis à jour le 08/04/2021
Dans le cadre du Human Brain Project [1], des chercheurs et chercheuses de l’équipe Parietal prennent une part active au projet collaboratif pluridisciplinaire[2] Individual Brain Charting consistant à créer une cartographie macroscopique précise des fonctions cognitives du cerveau humain. L’acquisition de données d’IRM fonctionnelle au cours de l’exécution de tâches comportementales a pour objectif, à terme, de développer un véritable atlas cérébral fonctionnel. Le 12 juin dernier, la revue scientifique internationale Scientific data , du groupe Nature publie d’ailleurs un article sur ce projet d’envergure.
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Photo ElisaRiva via Pixabay, CC0

Liens entre cognition et organisation fonctionnelle cérébrale : le défi des neurosciences

Un des défis des neurosciences est, entre autres, de comprendre l’organisation fonctionnelle du cerveau, c’est-à-dire d’identifier les zones cérébrales nécessaires à l’exécution de certaines tâches quotidiennes : commande des mouvements, perception sensorielle, apprentissage, prise de décision, langage, manipulation de symboles, conscience de soi et interactions sociales. On parle alors de tâches cognitives.

Cette compréhension est essentielle pour améliorer la connaissance scientifique de certaines maladies neurologiques et neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson, épilepsie, sclérose en plaques, accidents vasculaires cérébraux...), psychiatriques (dépression, addiction, schizophrénie), neurodéveloppementales ou troubles envahissants du développement (autisme) ou de déficits des organes des sens (déficiences visuelles, auditives ou olfactives). Les neurosciences contribuent ainsi à améliorer la précocité des diagnostics, à perfectionner la prédiction de troubles cognitifs ou comportementaux et à développer la création de traitements palliatifs.*

Si les avancées scientifiques dans ce domaine ne manquent pas, à ce jour, aucune collecte de données ne s’est consacrée à cartographier systématiquement les mécanismes cognitifs fonctionnels, aussi il est encore très difficile d’identifier et de "visualiser" les liens entre cognition et organisation fonctionnelle cérébrale. 

Individual Brain Charting : créer une cartographie cérébrale fonctionnelle

C’est le défi qu’une équipe de recherche pluridisciplinaire a décidé de relever à travers le projet Individual Brain Charting -IBC. Porté par Lucie Hertz-Pannier (CEA, Inserm, NeuroSpin, Université Paris-Descartes) et sous la responsabilité scientifique de Bertrand Thirion, responsable de l’équipe-projet Parietal du centre Inria Saclay – Île-de-France, le projet s’appuie sur un groupe fixe de douze participants et sur les technologies d’imagerie du NeuroSpin [3] - toutes les données y ont été acquises par IRMf haute résolution (1.5mm) - imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. Le fait d’acquérir toujours les données sur les mêmes individus déjoue les effets confondants de la variabilité des sujets et/ou des sites d’acquisition.

Chaque participant ou participante a ainsi effectué plusieurs tâches cognitives : celles dites de "bas niveau" - relatives à des occupations simples, comme regarder une image ou taper trois fois avec un doigt ; et celles dites de "haut niveau" concernant, par exemple, le calcul mental, la lecture de phrases ou l'interprétation d'une histoire impliquant les croyances de quelqu'un.

Il aura fallu plus de 60 mois de travail et la collaboration de plus de 20 scientifiques pour recueillir l’ensemble des informations fonctionnelles et structurelles nécessaires pour caractériser la structure du cerveau et réaliser des cartographies d'une précision inégalée. La grande quantité de données d'IRMf obtenues sur les mêmes sujets, sur un même site, fournit une cartographie précise des fonctions cognitives impliquées lors de l'exécution d’une douzaine de tâches différentes.

« Aujourd’hui, quand on observe un patient ou une patiente avec une lésion dans une zone du cerveau on a une idée assez vague de l’impact qu’elle peut avoir. Tout simplement parce que notre connaissance du cerveau est partielle, et que le cerveau de chaque personne - et donc du patient ou de la patiente en question - est unique. Nous voulons faire reculer la zone d’incertitude en étudiant très en détail un petit nombre de cerveaux. Ces observations serviront aussi de base pour simuler un cerveau, l’objectif central du Human Brain Project », nous précise Bertrand Thirion.

Le projet IBC n’en est qu’à ses débuts puisque seule une douzaine de tâches cognitives sont pour l’heure enregistrées et cartographiées. Les développements à venir incluront de nouvelles données correspondant à de nouvelles tâches qui viendront enrichir cette cartographie. L’ambition de l’équipe est de développer à terme un atlas neurocognitif complet dérivé de l'ensemble de ces données : « Nous espérons pouvoir délivrer cet atlas à la fin du projet en 2022. Nous en sommes à la moitié ! » nous indique Bertrand Thirion.

Dans l’article publié par la revue Scientific Data (groupe Nature), les scientifiques présentent la première version des données du projet IBC, qui comprend une douzaine de tâches distinctes. Les données brutes du projet sont publiques et disponibles sur le site OpenNeuro (ds000244) et les données post-traitées sur NeuroVault (id2138). Le manuscrit fournit également des estimations de la qualité des données ainsi qu'une évaluation statistique des réseaux cognitifs déterminés par les effets liés au sujet, à la tâche et aux paramètres d'acquisition.

L'équipe-projet Parietal et le Human Brain Project

« L’équipe-projet Parietal travaille au sein de la plate-forme Neurospin depuis 2009. Elle a développé une expertise sur le traitement des données d’IRM humaine, et sur l’analyse des fonctions cognitives, qui permettent de mener aujourd’hui cette expérience inédite. Bien sûr, ceci est fait en partenariat avec des collaborateurs au-delà d’Inria, que ce soit au CEA, ou à l’INSERM, ainsi qu’avec  un réseau mondial de partenaires. Un apport particulier d’Inria au sein du Human Brain Project est notre approche délibérément ouverte (open science), qui nous conduit à partager nos codes et nos données avec l’ensemble de la communauté. »

Bertrand Thirion, responsable de l'équipe

 

 

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Figure 1 : Modèles géométriques des cerveaux des 12 participantes et participants au projet IBC (cartographie cérébrale individuelle). Dans le cadre du projet IBC, 10 acquisitions (8 en IRMf et 2 en IRM anatomique et de diffusion) ont été réalisées chez 12 volontaires. Ces modèles, obtenus à partir d'images d'IRM anatomiques, montrent les différences de formes des cerveaux. Ces différences sont normales et se retrouvent dans toute la population. https://project.inria.fr/IBC/

 

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Figure 2 : Le projet IBC recueille des informations fonctionnelles et structurelles de haute qualité et haute résolution pour caractériser la structure du cerveau et réaliser des cartographies d'une précision inégalée. IBC fait passer un grand nombre de paradigmes fonctionnels aux 12 sujets et les images obtenues permettent de préciser quelles régions du cerveau sont activées lors d'une tâche donnée. Base Archi © C.Poupon/P.Pinel

Références

Ana Luísa Pinho, Alexis Amadon, Torsten Ruest, Murielle Fabre, Elvis Dohmatob, Isabelle Denghien, Chantal Ginisty, Séverine Becuwe-Desmidt, Séverine Roger, Laurence Laurier, Véronique Joly-Testault, Gaëlle Médiouni-Cloarec, Christine Doublé, Bernadette Martins, Philippe Pinel, Evelyn Eger, Gaël Varoquaux, Christophe Pallier, Stanislas Dehaene, Lucie Hertz-Pannier & Bertrand Thirion

Individual Brain Charting, a high-resolution fMRI dataset for cognitive mapping.(2018) Scientific Data, 5, 180105.

 


[1] Le Human Brain Project est une collaboration internationale consacrée à la modélisation du cerveau humain notamment par le calcul haute performance. Les résultats obtenus auraient pour but de développer de nouvelles thérapies médicales plus efficaces sur les maladies neurologiques. Il a été choisi pour être l'un des deux FET Flagships (« Initiatives-phares des technologies futures et émergentes ») de l'Union européenne

[2] Projet mené en collaboration étroite avec le CEA, le Collège de France, Inria, l’Inserm, NeuroSpin, et les universités Paris-Descartes, Paris-Saclay et Paris-Sud

[3] NeuroSpin - Localisé sur le plateau de Saclay, dans l’enceinte du CEA, il s’agit d’une infrastructure de recherche sur le cerveau qui exploite de grands instruments d'imagerie et qui réunit physiciennes et physiciens et neuroscientifiques pour développer en synergie les outils et les modèles qui permettront de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau.