Culture et société

Polifonia, le projet de recherche qui explore le patrimoine musical européen

Date:
Mis à jour le 09/06/2022
En étudiant l’évolution du patrimoine musical européen dans l’espace et le temps, le projet collaboratif européen Polifonia souhaite révéler des liens culturels et sociétaux entre les différents pays d’Europe, de la Renaissance à aujourd’hui, grâce à l’analyse et le croisement de différentes sources musicales et leurs contextes historiques.
Photo d'une partition musicale
© Unplash / Marius Masalar

Découvrir l'histoire de l'Europe à travers son héritage musical

L’histoire de la musique est riche de sources musicales aussi diverses que variées : partitions manuscrites ou imprimées, archives sonores, bases de données consacrées à un compositeur ou à un style musical, traditions particulières, instruments, etc. Ces sources, regroupées sous forme de collections, permettent d’établir des connexions entre des œuvres musicales, par exemple en mettant en évidence l’influence du travail d’un compositeur sur celui d’un autre, des siècles plus tard, ou bien en faisant ressortir des similitudes entre des partitions appartenant à des styles musicaux différents.

Ces recherches de connexions sont souvent menées au niveau local par les institutions et permettent une meilleure compréhension du patrimoine musical et culturel d‘une ville ou d’un pays. Mais s’il était possible d’aller plus loin ? S’il était possible de croiser différentes sources, à une échelle plus vaste, pour obtenir une compréhension plus globale de notre héritage musical ? Tel est le questionnement à la genèse du projet Polifonia, financé par le programme Horizon 2020 dans le cadre de l’appel à projets SC6-TRANSFORMATIONS et coordonné par l’Université de Bologne, en Italie.

« Je crois, pour la petite histoire, que c’est lié à un projet de la ville de Bologne, en Italie », raconte Florent Jacquemard, chercheur Inria exerçant ses activités de recherche au sein de l’équipe Vertigo du CNAM. « Bologne a été déclarée Cité de la Musique par l’UNESCO – en 2006 –, ils ont collecté beaucoup d’éléments patrimoniaux de leur ville dans ce cadre-là. Des chercheurs de l’université de Bologne travaillaient sur les données liées et les graphes de connaissances* : l’idée est d’organiser les connaissances sous forme de graphes, et de stocker les relations entre ces connaissances. C’est un peu comme un réseau social, sauf qu’au lieu d’avoir des relations entre les gens, on a des relations entre les connaissances. Ils ont mis certaines collections** sous forme de graphes, puis ont travaillé à établir des relations entre les graphes. C’est en partant de ce genre de travaux qu’ils ont voulu voir plus large et développer un projet européen ».

Les données utilisées dans le cadre de Polifonia forment donc un corpus très vaste. En effet, elles couvrent non seulement une large période temporelle, de la Renaissance à nos jours, mais aussi une surface géographique très étendue, à savoir presque l’ensemble du territoire européen. Des milliers d’œuvres, de pratiques musicales et d’objets liés à la musique telles que le patrimoine historique des orgues, des cloches ou encore la musique populaire vont être étudiés. Après avoir tissé les liens entre eux, l’objectif est de rendre ce patrimoine accessible à tous via une plateforme en ligne.

Cette plateforme se présentera comme un portail web facilitant l’interconnexion et la classification de données. Pour traiter un corpus aussi vaste, les chercheurs du projet Polifonia ont recours à différentes techniques issues de domaines variés (musicologie, science du numérique, informatique musicale, etc). Les outils ainsi utilisés facilitent le travail d’extraction et de représentation de ce grand nombre de données, mais seuls, ils ne suffisent toutefois pas.

10 initiatives clés au service du projet Polifonia 

Le projet Polifonia s’articule autour de 10 projets pilotes mettant en synergie les travaux de tous les chercheurs. Ces pilotes sont des prototypes de systèmes informatiques permettant l’interaction avec les sources musicales : ils expriment différents besoins, qui pilotent l’ensemble de l’activité du projet. Chaque pilote répond ainsi à une problématique ciblée et se focalise sur un domaine précis.

  « Un groupe travaille sur l’étude de la musique populaire aux Pays-Bas. Ils ont une grande collection de musiques populaires hollandaises qui couvre 5 siècles, et ont voulu mettre en lumière des liens avec d’autres collections européennes, notamment en Irlande et en Angleterre. Ils veulent établir des comparaisons entre les mélodies, pour définir des liens historiques qui présentent un intérêt pour les universitaires et les historiens » détaille Florent Jacquemard. Il s’agit ici du projet pilote TUNES, basé sur l’étude de la collection musicale digitale de l’Institut Meertens, aux Pays-Bas, qui s’attache donc à retracer la potentielle origine internationale de la musique populaire du pays.

Les thématiques de ces projets pilotes sont donc variées, allant du recensement et à la catégorisation des orgues aux Pays-Bas (projet ORGANS) à la préservation de cloches séculaires (projet BELLS), en passant par de nouvelles façons de faire ressentir la musique aux personnes malentendantes (projet ACCESS). Chaque projet pilote permet, à travers son domaine, d’aborder des questions de préservation, de compréhension, de gestion et d’interaction avec le patrimoine musical européen. 

3M€

de budget

10

partenaires

4 ans

Durée du projet

10

Projets pilotes

Un projet pluridisciplinaire ancré dans le concret

La grande force et originalité de ce projet réside dans sa dimension pluridisciplinaire. Contrairement à d’autres projets européens qui regroupent des scientifiques issus d’un même domaine, Polifonia rassemble des chercheurs de tous horizons, exerçant dans des disciplines parfois très éloignées : musicologie, histoire, numérique, informatique musicale, etc. Cette diversité de profils permet aux chercheurs de découvrir d’autres domaines et techniques

Verbatim

Polifonia est un projet très concret, une véritable plus-value

Auteur

Florent Jacquemard

« J’ai vu plusieurs projets européens qui étaient plus académiques, axés autour de la production d’articles scientifiques. Dans notre projet, les recherches sont appliquées : il s’agit de produire des outils et des méthodes. En particulier ces outils « pilotes », qui sont les plus mis en avant dans le projet, mais il y a aussi d’autres axes de travail. C’est une approche dont je n’avais pas l’habitude. » 

L’expertise française au service du projet Polifonia

Florent Jacquemard travaille sur l’informatique musicale depuis des années. Chercheur Inria membre du laboratoire Cédric du CNAM, au sein de l’équipe Vertigo, il y travaille sur des partitions, qui sont des données musicales écrites, aux côtés des chercheurs Philippe Rigaux et Raphaël Fournier-S’niehotta, et de la doctorante Tiange Zhu.

« Notre travail est lié à la préservation de patrimoine, mais aussi à l’analyse musicale par des musicologues, à l’écriture musicale. Avec mon équipe, on développe une base de partitions qui s’appelle Neuma, utilisée par les musicologues. On travaille sur des problèmes de gestion de base de partitions, ce qui est un peu différent de la gestion de base de données textuelles. Les techniques diffèrent, car ce sont des documents de différentes natures. Personnellement, je travaille beaucoup sur la transcription musicale : c’est-à-dire, à partir d’une performance jouée, obtenir une partition. »

Le projet Polifonia ayant besoin d’une compétence en transcription musicale et sur les bases de données, c’est cette spécificité de Vertigo qui les a fait rejoindre le projet sur invitation de l’Université de Bologne, en même temps que l’IREMUS, un laboratoire français du CNRS spécialisé en musicologie. Les deux partenaires apportent ainsi la touche française au projet, par leurs expertises complémentaires, aux côtés de l’Italie, des Pays-Bas et du Royaume-Uni.

Florent Jacquemard et son équipe sont responsables de l’un des 10 projets pilotes dont le nom est FACETS. Un clin d’œil à ses méthodologies de recherche, puisque ce projet exploite la technique de la recherche à facettes, qui permet d’effectuer une recherche dans des bases de données à partir de différents critères.

« L’idée est de faire des recherches sur une base de partitions en combinant plusieurs critères. Par exemple, pour la mélodie, il est possible de rechercher par motifs mélodiques, par harmonie, par rythme, ou annotations. Mais pour établir des relations entre les partitions ou rechercher la similarité entre elles n’est pas forcément facile. Il existe des techniques pour établir qu’un texte est proche d’un autre ou pas, pour détecter du plagiat, etc. Pour ce qui est de la musique, il y a énormément de dimensions étudiées pour établir des similarités entre les partitions : les hauteurs de notes, les durées, les relations entre les notes, les groupements, etc. »

* Un graphe de connaissance est une représentation de connaissances relatives à un domaine sous une forme exploitable par la machine. Cette représentation sous forme de graphe est un élément clé pour la recherche efficace et contextuelle d’informations et connaissances riches, la prise de décision, les applications d’intelligence artificielle, les assistants vocaux, etc .

** Notamment des traces écrites issues d’institutions culturelles comme la Bibliothèque Universitaire de Bologne ou encore le Musée international et bibliothèque de la Musique.