Mathématiques pour l'informatique

Pierre Lairez : développer des calculs à la précision hors norme

Date:
Mis à jour le 06/02/2022
Pierre Lairez, chercheur en mathématiques au centre Inria de Saclay est lauréat de la prestigieuse et très sélective bourse européenne ERC Starting Grants, qui lui permettra de porter pour les cinq prochaines années le projet 10 000 digits, avec des applications à diverses théories fondamentales en mathématiques et en physique. Objectif : développer des outils abstraits, comme ceux de l’algèbre ou de l’étude des équations, dans le domaine du calcul formel.
Illustration représentant une variété de Calabi Yau, intervenant en géométrie algébrique
CC - Wikimedia

Un projet de mathématiques expérimentales

Jeune chercheur au centre Inria de Saclay, et récent lauréat d’une bourse européenne Starting Grants, Pierre Lairez aime les mathématiques, en particulier les théories fondamentales de cette discipline qu’il étudie depuis ses jeunes années, mais aussi le café – sans doute pour ses effets bénéfiques à l’activité cérébrale ?

Biographie express de Pierre Lairez

Les mathématiques sont, depuis l’obtention de son baccalauréat, le fil conducteur de la jeune carrière scientifique de Pierre Lairez. Deux ans de classes préparatoires scientifiques lui permettent d’intégrer en 2007 l’École Normale Supérieure. Il se passionne alors pour le calcul formel, puis pour les mathématiques expérimentales, à l’occasion de ses travaux de doctorat, au sein de l’équipe SPECFUN entre 2011 et 2014. Après une expérience postdoctorale de deux ans en Allemagne, à l’Université technique de Berlin, où il s’intéresse aux questions de complexité, il rejoint les équipes Inria en tant que chargé de recherche. Début 2022, à l’âge de 34 ans, il est lauréat d’une bourse ERC Starting Grants.  

Attribuée à de jeunes scientifiques (deux à sept ans après l’obtention de leur thèse), la bourse ERC Starting Grants leur permet de construire une équipe de recherche autour d’un thème original et novateur. Pierre Lairez conduira le projet 10 000 digits – baptisé ainsi en référence à un album de groupe de métal Tool (« outil » en anglais). Coquetterie de scientifique ? Pas seulement, puisqu’il s’agira dans ce projet de développer des outils abstraits, comme ceux de l’algèbre ou de l’étude des équations, dans le domaine du calcul formel.

Il s’agit d’une branche des mathématiques et de l’informatique qui s’intéresse aux algorithmes opérant sur des objets mathématiques, comme des nombres entiers ou des polynômes, au moyen de représentations « finies et exactes » de ces objets – par exemple comme une écriture d’un entier en binaire. « Le calcul formel s'intéresse à la résolution de problèmes mathématiques par des moyens informatiques et je l'applique aux mathématiques elles-mêmes, résume Pierre Lairez. Il est utilisé par exemple pour proposer des conjectures, et, dans le meilleur des cas, démontrer des résultats d’intérêt théorique et pratique. »

Un calcul à 10.000 chiffres après la virgule

Le calcul formel est un outil des mathématiques expérimentales, thème de recherche de l’équipe SPECFUN, au sein de laquelle exerce le jeune scientifique, et dont les applications intéressent par exemple la combinatoire (l’étude des collections ou des combinaisons d’objets mathématiques), la théorie des nombres (qui s’intéresse aux propriétés de nombres entiers) ou encore la physique théorique. Pierre Lairez s’intéresse en particulier au calcul de certaines fonctions, comme des solutions d’équations différentielles (mettant en jeu une fonction mathématiques et ses variations – ses dérivées), ou au calcul d’intégrales (comme celui de la distance parcourue dans un intervalle de temps donné, et calculée comme l’intégrale de la fonction de vitesse au cours du temps).

« Le projet 10 000 digits vise par exemple à développer des algorithmes de calcul formel permettant de déterminer avec une très grande précision, plus de 10.000 chiffres après la virgule, la valeur d’intégrales de fonctions complexes, dépendant par exemple de plusieurs variables ou de paramètres donnés », détaille Pierre Lairez.

Cette précision excède très largement celle dont les ingénieurs ont par exemple besoin pour des calculs concrets. En effet, il existe déjà des méthodes bien éprouvées pour calculer une intégrale (l’aire sous une courbe décrivant la fonction), en faisant la somme de petites aires sous cette même courbe (c’est ce que les ingénieurs utilisent par exemple pour calculer une distance à partir de valeurs connues de la vitesse à différents instants). Alors pourquoi calculer avec une si grande précision ? « La finesse de ce type de calcul, que ce soit pour des intégrales ou d’autres objets, comme des nombres, répond à des besoins théoriques », explique Pierre Lairez. Cette précision ‘hors norme’ permet d’extraire des informations intéressantes pour le mathématicien qui cherche à démontrer certaines propriétés des objets étudiés. 

Des résultats utiles à la physique théorique et à l’optimisation

L’originalité du projet 10 000 digits est de mêler des aspects symboliques et numériques du calcul, une voie au potentiel encore peu exploré à l’heure actuelle. Il conduira au développement d’algorithmes et de logiciels de calcul formel, ce qui demandera à l’équipe que dirigera Pierre Lairez un conséquent travail d’implémentation. En s’intéressant à l’étude d’intégrales particulières, le projet explorera des applications en physique théorique, par exemple avec les intégrales de Feynman (prix Nobel de physique), qui permettent de modéliser certains phénomènes de mécanique quantique.

D’autres applications – de nature théorique – sont attendues, comme en optimisation. « Dans ce domaine, les mathématiciens cherchent à trouver le maximum global d’une fonction, par exemple un polynôme. On sait qu’en calculant une série d’intégrales de cette fonction, on peut obtenir des informations générales, utiles pour démontrer l’existence de ce maximum global et le déterminer. Les méthodes développées dans le projet 10 000 digits permettront d’obtenir de tels résultats », éclaire pierre Lairez.

Plus qu’une réussite personnelle, l’attribution de la bourse ERC et le financement du projet (1,4 millions d’euros sur cinq ans) est aussi « une réussite collective », insiste le mathématicien, qui aura bénéficié pendant son montage du soutien et des encouragements de nombreux collègues. « 10 000 digits permet de mettre en lumière toute une équipe et de renouveler, à l’aune de nouvelles approches rendues possibles par les performances des ordinateurs actuels, une discipline assez ‘ancienne’ », conclut le chercheur. Gageons qu’une grande quantité de café lui sera nécessaire pour relever les défis posés par son exploration mathématique…

L’équipe SPECFUN

Alin Bostan, Frédéric Chyzak et Pierre Lairez sont les trois mathématiciens membres de l’équipe SPECFUN (centre Inria de Saclay) dont les effectifs sont renforcés par une demi-douzaine de doctorants et trois chercheurs invités ou émérites. Au cœur des travaux de l’équipe : les mathématiques expérimentales, une approche dans laquelle des calculs réalisés actuellement par ordinateur sont utilisés pour explorer les propriétés d'objets mathématiques, élaborer des conjectures (des résultats mathématiques à prouver, portant par exemple sur les relations et les régularités entre les objets étudiés) et démontrer ces résultats, exploitables ensuite dans d’autres branches des mathématiques ou par d’autres sciences comme la physique.

En savoir plus sur les travaux de l'équipe SPECFUN