Santé - Médecine personnalisée

Vers un modèle mathématique du parcours patient grâce à la donnée

Date:
Mis à jour le 17/07/2023
Les mathématiciens de l’équipe-projet Modal ont réussi, grâce à une action exploratoire mise en place depuis 2021 avec des médecins du CHU de Lille et des biostatisticiens de METRICS, à lever plusieurs verrous dans la modélisation du parcours patient grâce aux données, dans le but d’accompagner et d’accélérer la prise de décision des praticiens. La finalisation d’un premier modèle est attendue dans les prochains mois.
Gros plan sur un clavier d'ordinateur avec un picto santé
© Inria / Photo G. Scagnelli

L’analyse statistique des données au service des patients

Les médecins disposeront-ils bientôt d’un outil mathématique robuste d’aide à la décision pour soulager leur charge de travail et permettre une prise en charge plus efficiente des patients ? C’est le défi scientifique majeur qu’est sur le point de relever l’équipe-projet Modal du Centre Inria de l'Université de Lille.

L’enjeu est important. D’un côté, l’augmentation de la population, des maladies chroniques et de la multimorbidité, le vieillissement de la population, le manque de personnel et de moyens financiers, incitent les structures de santé à se doter de moyens innovants. De l’autre, l’informatisation des fournisseurs de soins (hôpitaux, cabinets, laboratoires de biologie médicale) et des assurances (dont l’Assurance Maladie) a permis l’accumulation massive de données relatives au soin des patients.

La solution ? Réutiliser ces données et les intégrer dans des procédures d’intelligence artificielle pour créer des parcours de soins adaptés aux besoins et aux moyens. Ces dernières années, plusieurs équipes en sciences des données se sont attelées à la tâche. Mais les méthodes et les outils d’analyses statistiques sont restés jusqu’ici limités et peu efficients.

Une synergie entre mathématiciens et médecins

Pour relever le défi lié au développement d'outils mathématiques adaptés à l'analyse des parcours de soins, des chercheurs français ont misé sur l'interdiscplinarité. En effet, plusieurs verrous scientifiques sont liés à la nécessité de croiser des expertises scientifiques travaillant rarement ensemble.

Pour quelle raison ? Et comment les chercheurs français ont-ils fait pour lever certains verrous méthodologiques et scientifiques majeurs ?
Ceux-ci ont misé sur l’interdisciplinarité. Les chercheurs en mathématiques appliquées de l’équipe-projet Modal ont travaillé pendant deux années en étroite collaboration avec des médecins et des biostatisticiens de l’équipe de recherche pluridisciplinaire METRICS du CHU de Lille. Ces derniers ont apporté leur expertise et un autre regard sur la pertinence des choix de modélisation et des résultats obtenus. Ce travail s’est inscrit dans le cadre d’une action exploratoire menée autour du "PArcours paTient en milieu Hospitalier" (PATH) et créée en 2021. Voilà le secret.

Collectivement, ceux-ci ont d’abord cherché à définir mathématiquement un parcours patient, au sens large. Réalisant assez vite au cours des échanges que chaque parcours est unique et fonction de la pathologie et du contexte, l’équipe scientifique s’est concentrée sur un premier cas d’usage pour lesquels le CHU disposait de données précises exploitables et d’une expertise : la cohorte DAMAGE incluant des personnes âgées très fragiles, exposées au risque d’hospitalisations répétées et pour lesquelles le médecin doit décider d’une nouvelle hospitalisation ou d’un retour à domicile ou à l’Ehpad.

Des données complexes

« La collaboration avec les chercheurs cliniciens de Metrics a donc été essentielle, dans un premier temps, pour identifier les cas d’usage spécifiques et avoir accès aux données », explique Sophie Dabo, responsable de l’action exploratoire dans Modal. Ces données ont été traitées de façon sécurisée et anonyme, après qu’une convention entre Inria, le CHU de Lille et l’Université de Lille a été mise en place. Il est désormais envisagé de permettre à l’équipe Modal de traiter des données issues de l’entrepôt de données de santé (EDS) INCLUDE, dès que cette démarche aura été autorisée par le CSE (Comité scientifique et éthique) du CHU de Lille et la CNIL.

« Mais cela ne s’arrête pas là. Notre collaboration a été aussi très utile, ensuite, pour faire le tri entre ces données et apprendre à en extraire les données d’intérêt. » Oui, restait encore à faire parler les données.

Un jeu d’enfant pour un mathématicien ? Tout dépend du contexte.

Les données collectées sur la cohorte de personnes âgées comportaient essentiellement des données qui sont facilement mutualisables et donc exploitables. Pour les données de l’EDS INCLUDE, ce sera tout autre chose. Les données existent sous des formats très divers qu’il nous sera impossible d’analyser sans l’aide des spécialistes des bases de données de santé.

Valider ce premier modèle

Il s’agira ensuite de valider le modèle et d’utiliser les techniques d’apprentissage statistique pour entraîner la machine à extraire automatiquement ces données d’intérêt et conclure, par exemple, pour une pathologie donnée, à la présence ou l’absence de signes cliniques marqués. Car tout comme un logiciel d’aide à la conduite doit savoir discerner les situations dangereuses des situations qui ne le sont pas pour avertir d’un danger et prévenir un accident, le logiciel d’aide doit pouvoir, dans le cadre d’un parcours patient, identifier les données d’intérêt à partir des observations faites chez un nouveau patient, les analyser à l’aide d’un modèle adapté, qui, une fois entraîné, pourra fournir un avis d’aide à la décision : parcours à risque ou non à risque (décès, hospitalisations multiples, événements indésirables, etc.).

« Il s’agit bien évidemment pas de remplacer le praticien mais de lui proposer un outil d’accompagnement solide, capable d’automatiser certaines étapes d’extraction et d’analyse des données dans la construction du parcours patient ».

Pour prolonger ces travaux et répondre à des défis sociétaux autour du patient et son parcours de soins, une réflexion sur la construction d'une future équipe-projet Inria qui associerait des chercheurs en statistiques et en santé est en cours.

Qu’est-ce qu’une action exploratoire ?

Ce dispositif mis en place par Inria donne l’opportunité aux chercheurs d’explorer une piste de recherche et d’évaluer par exemple son potentiel en amont de la constitution formelle d’une équipe-projet. Des appels à projets sont lancés chaque année par Inria. Les candidats intéressés doivent à la fois décrire le projet, le situer dans son contexte, présenter les verrous scientifiques attendus, les pistes de recherche, les résultats attendus ainsi que les besoins matériels et humains nécessaires à sa mise en place. Ces actions exploratoires sont souvent l’opportunité de nouvelles collaborations et la mise en place de recherches innovantes.