Environnement et planète

L’IA pour lutter contre le changement climatique et favoriser la durabilité environnementale

Date:
Mis à jour le 04/03/2024
Prédire l’évolution du climat et anticiper les phénomènes extrêmes relève du challenge, notamment en raison de l’hétérogénéité des données. L'intelligence artificielle et l'apprentissage automatique peuvent nous aider à faire face à la crise climatique. C’est dans cette perspective que Claire Monteleoni, chercheuse au Centre Inria de Paris, construit le projet d’une nouvelle équipe destinée à répondre à ces questions grâce à l’IA. Découvrons les enjeux et les objectifs de ses recherches.
Photo de Claire Monteleoni prise au Jardin des Plantes
Claire Monteleoni ("Meet Claire Monteleoni: Editor in Chief of Environmental Data Science." © Cambridge University Press 2023).

 

La science du climat est un domaine extrêmement riche en données, ainsi nous le rappelle Claire Monteleoni :

Les modèles de simulation du climat, basés sur la physique, ont généré une quantité stupéfiante de données. Certains climatologues estiment qu'il y existe une plus grande quantité de données simulées par des modèles que de données issues de satellites d’observation de la Terre. 

Le challenge des Big Data face au changement climatique

Les stations météorologiques se multiplient, les radars, les ballons atmosphériques et les satellites venus en renfort, fournissent encore plus d’informations relatives à l’évolution du niveau des océans, la fonte des glaciers, l’état de santé des forêts ou aux variations de la composition de l’atmosphère. Ces données comprennent également des informations qui remontent à plusieurs milliers d’années (étude du paléoclimat) grâce à l’examen d’archives naturelles, telles que les carottes glacières, les anneaux de croissance des arbres, les coraux, les foraminifères ou encore les pollens.

Entre temps, les modèles climatiques, basés sur la physique, se sont avérés très utiles pour comprendre et prévoir le changement climatique. Ils sont basés sur des modèles mathématiques très complexes, exécutés sous forme de simulations informatiques à grande échelle dans lesquelles les géophysiciens, climatologues ou météorologues "encodent" leurs connaissances. Non seulement hétérogènes, tous ces ensembles de données (observées et simulées) sont également variables, aussi bien dans le temps que dans l’espace.

Malgré la quantité considérable de données, de nombreuses incertitudes subsistent quant au changement climatique et à ses effets à court et à long terme. Par exemple, la prévision de phénomènes météorologiques extrêmes et soudains n’est pas sans son lot de difficultés, notamment au niveau local.

 

Graphiques atmosphériques globaux centrées sur l'emplacement d'une tempête
Giffard-Roisin et al., 2020
Graphiques atmosphériques globaux centrés sur l'emplacement de la tempête : champs de vent (u et v) et géopotentiel (z) : La trajectoire d'une tempête dépend de la circulation atmosphérique à grande échelle. Nous avons extrait les champs de vent u et v sur un graphique de 25° × 25° centré sur la position actuelle de la tempête, à trois niveaux de pression atmosphérique (700, 500 et 225 hPa). L'objectif est de mesurer les mouvements d'air aux différents niveaux de la troposphère : basse, moyenne et haute. (Giffard-Roisin et al., 2020).

 

Claire Monteleoni est bien consciente du problème lié à ces Big Data. Elle est arrivée au Centre Inria de Paris en janvier 2023 dans le cadre du programme Choose France de la stratégie nationale d'IA lancée par le Président Macron en 2018. L’objectif de Claire est de former une nouvelle équipe de scientifiques dans le domaine de la recherche en intelligence artificielle (IA) pour lutter contre le changement climatique.

Outre les quantités massives de données, difficiles à manipuler, les scientifiques sont également confrontés à d’autres contraintes comme, par exemple, le manque de données disponibles à certains endroits du globe. Comme l’explique Claire, il existe beaucoup de données récoltées dans certaines régions mais pour d’autres, elles sont très partielles. L’utilisation de l’intelligence artificielle pourrait combler cette lacune. Elle pourrait non seulement aider les scientifiques à compléter les informations qui font défaut pour anticiper les changements à venir, mais aussi guider la prise de décision des autorités publiques en vue de développer de nouvelles stratégies d’adaptation au changement climatique.

L’informatique climatique : une discipline d’avenir et en devenir

Claire a joué un rôle pionnier dans le mariage des techniques d’apprentissage automatique avec la science du climat. En 2008, à la Columbia University, elle participe à un séminaire organisé à l’initiative de Gavin Schmidt, éminent climatologue à la NASA, qui souhaite ouvrir le débat sur les volumes considérables de données et sur la nécessité de recourir aux sciences informatiques. Claire l’a interpellé lors de son intervention avec la question suivante : « Avez-vous testé l’apprentissage automatique pour répondre à ces problématiques ? ».

La question a fait mouche, car l’apprentissage automatique (qui, avec des méthodes issues de l'optimisation et des statistiques, constitue les fondements algorithmiques d'une grande partie de l'intelligence artificielle moderne) avait déjà fait ses preuves pour prédire, par exemple, le marché boursier, en combinant les prédictions de plusieurs experts. Il est également en plein essor dans l’industrie, dans la médecine, etc. Alors pourquoi ne pas utiliser ces méthodes pour combiner les prédictions issues des modèles climatiques qui informent le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) ?

C'est la question à laquelle ont tenté de répondre Claire et Gavin, dont les résultats ont ensuite été analysés par le GIEC. En 2010 en Californie, lors d'une conférence de la NASA, leurs travaux avaient d’ailleurs été salués en recevant le prix du meilleur article (Monteleoni et al., 2010). Puis, en 2011, ils ont cofondé l'atelier international sur l'informatique climatique (International Conference on Climate Informatics) qui a rassemblé un réseau international de scientifiques pour former une nouvelle communauté de recherche appelée informatique climatique.

 

Claire Monteleoni en train d'écrire sur un tableau noir
© Cambridge University Press 2023
Claire Monteleoni (photo de tirée de l’interview filmée : "Meet Claire Monteleoni: Editor in Chief of Environmental Data Science").

L'apprentissage automatique est la clé qui permettra de tirer des enseignements de cet ensemble colossal de données. 

Selon Claire, l’IA est le moyen le plus rentable pour tirer un enseignement des quantités massives de données déjà collectées, qu’elles soient simulées numériquement ou observées par télédétection et par mesures in situ. L’autre avantage de l’apprentissage automatique ? Les IA améliorent leurs performances à mesure que la quantité de données qu’elles analysent augmente ! 

Le projet ARCHES : Optimiser l'IA pour lutter contre le changement climatique et favoriser la durabilité environnementale

Le groupe de recherche de Claire a montré qu'une variante des réseaux neuronaux convolutifs, un type d'apprentissage profond, constituait un moyen efficace de prévoir la trajectoire des ouragans, des phénomènes habituellement très difficiles à prédire (Giffard-Roisin et al., 2020).

 

Schéma de l'architecture générale de trois types de données alimentant trois réseaux neuronaux entraînés séparément.
Architecture générale : les trois types de données alimentent trois réseaux neuronaux entraînés séparément. Le réseau final fusionné est réentraîné avant de prédire les mouvements prévus sur 24 heures. CNN = réseau neuronal convolutif. (Giffard-Roisin et al., 2020).

 

Ces travaux ont déjà été largement cités, mais de nombreuses questions restent sans réponse. À titre d’exemple, l’ouragan Patricia qui avait touché la côte ouest du Mexique en octobre 2015 était subitement passé d'un ouragan de catégorie 1 à un "monstre" de catégorie 5 (avec des vents passant de 138 km/h à 333 km/h en 24 heures). Ces changements soudains d’intensité restent difficiles à expliquer pour les scientifiques.

Les IA pourraient participer à l’amélioration des prévisions à termes. Elles permettraient aussi de s’attaquer à d’autres challenges sociétaux à venir comme, par exemple, le choix de nos futurs lieux de résidence, les types de maisons à privilégier, les infrastructures publiques à mettre en place, ou encore vérifier la fiabilité de notre production d’énergie solaire et éolienne. En somme, les AI pourraient nous aider à mieux anticiper notre avenir climatique et à nous assurer que nous sommes capables de nous adapter et d'être résilients face au changement.

Claire Monteleoni envisage de nommer son équipe-projet "ARCHES" pour AI Research for Climate CHange and Environmental Sustainability. Elle aura trois grands axes de recherche :

  1. L’IA pour la science du climat : pour améliorer la compréhension scientifique de l’évolution du système climatique.
  2. L'IA pour l'adaptation au changement climatique : pour concevoir l’impact social et accompagner les communautés et les décideurs avec des outils d’aide à la prise de décision.
  3. L'IA pour l'atténuation du changement climatique : pour accélérer notre transition écologique, avec un accent particulier sur les énergies renouvelables.

« Il existe toute une série d'autres problèmes sur lesquels l'apprentissage automatique peut avoir un impact, et nous encourageons les autres experts à s'impliquer », précise Claire qui a incité les étudiants à se lancer dans la science des données climatiques en organisant des hackathons :

Je suis ravie de voir toute une génération de scientifiques des données et de chercheurs en IA, en particulier au niveau des étudiants, s'intéresser à l'informatique climatique

Photo de Claire, prise au Jardin des Plantes, en train de contempler un arbre.
© Cambridge University Press 2023
Claire Monteleoni (photo de tirée de l’interview filmée : "Meet Claire Monteleoni: Editor in Chief of Environmental Data Science").

 

Grâce à ses axes de recherche ciblés, le projet ARCHES incarnera une avancée majeure vers l'utilisation de l'intelligence artificielle pour aborder les enjeux du changement climatique et de la durabilité environnementale.

Les recherches qui seront menées par ARCHES auront pour but d’aider les scientifiques à mieux comprendre le climat, à faciliter l’adaptation et la résilience au changement mais aussi à accélérer la transition écologique. En encourageant des collaborations interdisciplinaires à la croisée des chemins entre science du climat, énergies renouvelables, apprentissage automatique, exploration de données (data mining) et statistiques, le projet ARCHES espère ouvrir la voie à des avancées significatives pour lutter contre le changement climatique.

À propos de Claire Monteleoni

Claire Monteleoni est titulaire de la chaire Choose France AI et directrice de recherche au Centre Inria de Paris. Elle est professeure au département de Sciences informatiques de l'université du Colorado Boulder.

En 2023, dans le cadre du programme Choose France, Claire Monteleoni a rejoint Inria pour constituer une nouvelle équipe de recherche.

Claire a précédemment occupé des postes à l'université Paris-Saclay, au CNRS, de 2017 à 2018, (programme de bourses Jean d'Alembert), à l'université George Washington, de 2011 à 2018, (en tant que professeure-assistante puis professeure associée) et à l'université Columbia, de 2008 à 2011 (en tant que chercheuse-scientifique).

Elle a obtenu son master et son doctorat en sciences informatiques au MIT en 2006 et a été postdoc à l'UC San Diego de 2006 à 2008. Elle est également titulaire d'une licence en sciences de la Terre et des planètes de Harvard.

Les recherches de Claire Monteleoni sur l'apprentissage automatique pour l'étude du changement climatique ont contribué à lancer le domaine interdisciplinaire de l'informatique climatique. Elle a cofondé l'atelier international sur l'informatique climatique (International Conference on Climate Informatics), dont la 12e édition s’est déroulée en 2023 et qui a attiré des climatologues et scientifiques des données de plus de 20 pays et de 30 états américains.

Claire siège actuellement au comité consultatif de la NSF (U.S. National Science Foundation) pour la recherche et l'éducation en matière d’environnement et elle est rédactrice en chef-fondatrice de la revue Environmental Data Science, Cambridge University Press, lancée en décembre 2020.

Bibliographie

  • Sinha, S., Hodge, B., & Monteleoni, C. (2022). « Week-ahead solar irradiance forecasting with deep sequence learning ». Environmental Data Science: Special Collection: Proceedings of the 12th International Conference on Climate Informatics 2022, 1, E28.
  • Brian Groenke, Luke Madaus et Claire Monteleoni (2021). « ClimAlign: Unsupervised statistical downscaling of climate variables via normalizing flows ». In Proceedings of the 10th International Conference on Climate Informatics (CI2020). Association for Computing Machinery, New York, NY, États-Unis, 60–66.
  • Saumya Sinha, Sophie Giffard-Roisin, Fatima Karbou, Michael Deschatres, Anna Karas, Nicolas Eckert, Cécile Coléou et Claire Monteleoni (2021). « Variational Autoencoder Anomaly-Detection of Avalanche Deposits in Satellite SAR Imagery ». In Proceedings of the 10th International Conference on Climate Informatics (CI2020). Association for Computing Machinery, New York, NY, États-Unis, 113–119.
  • Giffard-Roisin Sophie, Yang Mo, Charpiat Guillaume, Kumler Bonfanti Christina, Kégl Balázs, Monteleoni Claire (2020). « Tropical Cyclone Track Forecasting Using Fused Deep Learning From Aligned Reanalysis Data ». Frontiers in Big Data. Volume 3.
  • Monteleoni, C., Schmidt, G. A., Alexander, F., Niculescu-Mizil, A., Steinhauser, K., Tippett, M., et al. (2016). « Climate Informatics », Comput. Intell. Data Anal. Sustain. Dev., 81–126.

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