Biologie

La bio-informatique explore le microbiote intestinal

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Mis à jour le 27/11/2023
Allier les sciences du vivant et le numérique : voilà le savoir-faire de l’équipe-projet Pleiade, qui développe des méthodes informatiques pour la biologie. Elle vient de mettre ses compétences au service d’un sujet de recherche majeur : en s’appuyant sur le machine learning, notamment l’apprentissage statistique, elle est parvenue à faire progresser la compréhension du microbiote intestinal humain. Découvrez cette belle aventure scientifique.
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© Paulista - adobestock.com

Le microbiote, une des clés de votre santé !

Saviez-vous que vos intestins hébergent plus de 1000 milliards de micro-organismes, dont la grande majorité sont des bactéries ? Ensemble, ils constituent le microbiote intestinal, un écosystème dont le rôle majeur en santé est reconnu depuis plusieurs années : il contribue à la digestion ainsi qu’au fonctionnement global du système digestif, et aide également notre système immunitaire.

Chercheurs et chercheuses le savent désormais : la santé du microbiote intestinal et celle de l’individu qui l’accueille sont étroitement liées. Mieux connaître ces communautés bactériennes et leur fonctionnement est donc devenu un sujet central d’études en biologie : en quoi les microbiotes diffèrent-ils d’un individu à l’autre ? Qu’ont-ils en commun ? À quoi ressemble un microbiote en bonne santé ? Autant de questions auxquelles les scientifiques tentent aujourd’hui de répondre.

Réussir à modéliser le microbiote grâce à la bio-informatique

Mais quel est le rapport avec Inria ? Il tient en un mot : Pleiade. C’est le nom de l’équipe-projet du Centre Inria de l’université de Bordeaux (commune à l’Inrae) dans laquelle travaille la chercheuse Clémence Frioux : « J’ai commencé mes recherches sur le microbiote intestinal en 2019, lors de mon postdoc au Quadram Institute, en Grande-Bretagne, explique-t-elle. Et arrivée en poste chez Inria six mois plus tard, j’ai continué ! J’aimais l’idée d’une application de mes recherches en santé humaine. »

Pendant trois ans, Pleiade, le Quadram Institute et l’Earlham Institute se penchent ainsi ensemble sur une question précise : comment l’apprentissage statistique peut-il contribuer à l’obtention d’un modèle simple et interprétable de la composition du microbiote ? « Il existait depuis 2011 le concept d’entérotypes : une classification en trois catégories en fonction du genre de bactéries prédominant dans le microbiote, précise Clémence Frioux. Nous souhaitions proposer un modèle plus détaillé et facile à réappliquer. »

Le machine learning à la recherche des communautés de bactéries

Pour élaborer ce modèle, les chercheurs et chercheuses ont donc choisi de ne pas se contenter des genres dominants de bactéries mais de décrire les combinaisons de communautés bactériennes et leur abondance. Grâce à une précédente étude qui a rassemblé les métagénomes (c’est-à-dire l’ensemble des gènes, toutes espèces confondues) des microbiotes de plus de 5000 individus de tous âges, à travers treize pays au mode de vie occidental, ils sont parvenus à construire une base d’apprentissage : des données qui comportent la liste des espèces du microbiote de chaque individu et leur abondance.

Puis le machine learning est entré en jeu via l’utilisation d’un algorithme destiné à la réduction de dimensions : « Au lieu de décrire le microbiote à partir des 500 genres bactériens présents, l’algorithme va combiner les genres en facteurs, et optimiser leur composition pour décrire au mieux les données initiales », explique Clémence Frioux. Le résultat est remarquable : cinq "guildes" ou communautés bactériennes sont décrites. Et la composition des microbiotes originaux est simplifiée en une combinaison de ces "guildes".

Le challenge : la création d’un modèle généralisable

En référence aux entérotypes, Clémence Frioux et ses collègues les nomment "entérosignatures". « Ce qui est particulièrement intéressant, souligne la chercheuse, c’est que notre modèle à cinq entérosignatures s’est avéré généralisable. » Pour le prouver, les scientifiques l’ont appliqué à une autre cohorte occidentale de 888 métagénomes bactériens et ont démontré la capacité des cinq entérosignatures à décrire les microbiotes correspondants. Le même succès a été rencontré en le testant sur une cohorte de 1152 métagénomes bactériens issus de 12 pays non-occidentaux. Défi relevé !

Mais les chercheurs et chercheuses ne se sont pas arrêtés en si bon chemin… « Nous avions beaucoup de métadonnées associées à nos échantillons, sur l’usage d’antibiotiques ou d’autres médicaments, l’âge de l’individu, le mode de naissance et l’alimentation pour les nouveau-nés, etc., précise Clémence Frioux. Cela nous a permis d’associer nos entérosignatures à certaines caractéristiques. »

L’entérosignature dominée par les bactéries du groupe Bacteroides semble ainsi avoir un rôle prédominant après un traitement par antibiotiques par exemple, tandis que celle dominée par des bactéries du groupe Firmicutes est associée à des caractéristiques de bonne santé. Le modèle permet également de décrire les changements du microbiote au cours du temps, en mettant en évidence des variations dans les proportions d’entérosignatures des microbiotes en fonction de l’âge des individus.

Les entérosignatures comme outil d’exploration du microbiote intestinal

En poursuivant leurs recherches, les scientifiques ont aussi pu observer, à travers le prisme de leur modèle à cinq entérosignatures, les complémentarités et redondances des fonctions métaboliques (les réactions chimiques ayant lieu au sein des cellules) portées par les micro-organismes. En résumé ? Leur modèle réduit le microbiote à quelques facteurs et permet donc son interprétation et son application dans le domaine de la santé… avec précision. Ce qui correspond parfaitement à l’objectif fixé.

« Nous avons en outre observé qu’une minorité d’échantillons étaient mal décrits par le modèle, car ils étaient associés à des perturbations de la composition du microbiote, note Clémence Frioux. Les cinq entérosignatures permettent ainsi de repérer les microbiotes atypiques, ce qui peut avoir des applications médicales. »

Désormais, les scientifiques veulent approfondir encore le modèle : pour continuer à affiner leurs résultats, ils ont créé un site internet dédié aux entérosignatures. « L’objectif est que des collègues puissent appliquer les signatures existantes à leurs propres échantillons afin de confirmer notre modèle, mais également de l’étayer avec de nouvelles signatures, correspondant par exemple à certaines pathologies. »

Clémence Frioux compte quant à elle poursuivre ses recherches, pourquoi pas en appliquant la même méthodologie à d’autres microbiotes ? Le monde des bactéries est vaste et sa compréhension s’avère indispensable dans de nombreux domaines, de la santé à l’environnement. Et sans nul doute, les entérosignatures pourraient y apporter leur contribution...

 

Le microbiote en chiffres

+ de 10 milliards

de bactéries/mL dans le côlon

+ de 10 000

bactéries/ml dans l’intestin grêle

160

espèces de bactéries environ dans un microbiote sain

15 à 20

espèces seulement de bactéries seraient présentes chez tout le monde

 

 

Une avancée notable en biologie

Les résultats de Clémence Frioux et de ses collègues viennent de faire l’objet d’un article offrant une meilleure compréhension de cet écosystème complexe qu’est le microbiote… et donc vers de potentielles thérapies pour faire face à ses perturbations !

 

 

 Pour aller plus loin :