Rencontre avec Dirk Drasdo : Vers un laboratoire virtuel pour tester les cosmétiques

Date:
Mis à jour le 19/05/2021
Tester l’innocuité des produits cosmétiques sans recourir à l’expérimentation animale ? C’est l’objectif visé par le programme Seurat-1 , financé par la Commission européenne et le syndicat européen de l’industrie des cosmétiques , auquel contribue Dirk Drasdo de l’équipe Bang.
Drasdo
© Inria / Photo C. Tourniaire

Entretien avec Dirk Drasdo, membre de l’équipe-projet Bang, Inria Rocquencourt

Pourquoi vouloir créer une plate-forme permettant de tester les produits cosmétiques sans avoir recours à l’expérimentation animale ?

Dirk Drasdo : Depuis mars 2013, il est interdit d’utiliser les animaux pour tester la toxicité potentielle des cosmétiques. C’est pourquoi la Commission européenne et l’industrie des cosmétiques ont lancé en 2011 le programme Seurat-1 qui vise à développer des stratégies alternatives permettant au final de s’affranchir de l’expérimentation animale. Nous explorons, au sein d’un des projets du programme (Notox*), une stratégie basée sur la modélisation et la simulation du foie humain, principal organe de détoxification du sang. Les outils que nous développons ouvrent la voie à l’expérimentation in silico.

En quoi consiste cette modélisation ?

Dirk Drasdo : Tout le monde aimerait savoir, en cosmétique aussi bien qu’en pharmacologie, extrapoler aux patients ce qui se passe dans une expérience in vitro, c’est-à-dire réalisée sur des cellules cultivées en conditions artificielles. Cela n’est cependant pas possible car les systèmes vivants sont très complexes et l’on obtient toujours des réponses inattendues dès que le contexte change. La question qui se pose est donc la suivante : peut-on pallier le manque de données et de mesures sur l’organe in vivo par une modélisation des différents niveaux d’organisation de l’organe ? C’est ce que nous faisons dans Notox. Nous créons des modèles mathématiques de cellules hépatiques, qui sont calibrés grâce aux résultats obtenus sur les cellules cultivées in vitro, et nous intégrons ces modèles dans d’autres modèles plus globaux prenant en compte l’architecture des tissus et ce que l’on connaît déjà des mécanismes de contrôles physiologiques et des effets des toxiques chez l’humain.

Quelle est votre contribution à la mise en place d’une telle alternative ?

Dirk Drasdo : Nous avons élaboré un modèle de foie humain qui prend en compte l’organisation des hépatocytes en lobules richement vascularisés et les flux les traversant (de sang, lymphe, bile). Comme le foie humain est composé d’environ un million de ces petites unités fonctionnelles, il est possible de simuler ce qui se passe dans une partie du foie en modélisant ce qui se passe dans une unité et extrapoler ce qui se passe dans le foie entier. Nous sommes ainsi capables aujourd’hui de simuler 100  lobules et il sera possible d’en simuler plus encore avec les supercalculateurs. Nous modélisons l’effet délétère de substances sur les hépatocytes et les processus de régénération associés. Une plate-forme modulaire, Cellsys, condense le savoir accumulé depuis une quinzaine d’années dans ce domaine. Une première version sera disponible en open source d’ici six à douze mois. Les utilisateurs pourront l’adapter à leurs besoins et y intégrer leurs propres modèles.

Cellsys peut-elle être utilisée pour tester des cosmétiques ?

Dirk Drasdo : Non, il faudra encore beaucoup de temps pour pouvoir utiliser de manière fiable cette plate-forme pour déterminer la toxicité d’un produit ! Pour cela, il sera en particulier incontournable, à un certain point, de l’évaluer en comparant les effets prévus par le logiciel à ceux effectivement obtenus chez l’animal. Si ces outils ne permettent pas encore de prédire précisément ce qui va se passer, ils renseignent néanmoins sur ce qui peut se produire dans certaines configurations. Dans le cas des tests en pharmacologie, pour lesquels l’expérimentation animale n’a pas été bannie, le biologiste peut, par exemple, identifier plus rapidement l’hypothèse correcte en comparant les résultats de simulations et ses résultats expérimentaux ; il peut ainsi réduire le nombre d’essais nécessaires sur les animaux.

* (predicting longterm toxic effects using computer models based on systems characterization of organotypic cultures)

Dirk Drasdo : « Je voulais contribuer à soigner les maladies. »

Physicien de formation, Dirk Drasdo s’est rapidement tourné vers la modélisation des systèmes biologiques avec la volonté de contribuer au progrès médical. Il a trouvé à l’université de Warwick (RU) puis chez Inria, qu’il a rejoint en 2007, un milieu particulièrement adapté à la recherche qu’il entend mener.

« Inria offre une réelle liberté de faire de la recherche interdisciplinaire et s’intéresse également beaucoup aux applications. Cela me convient parfaitement ! »