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Une bourse ERC pour Zaki Leghtas : un pas de plus vers l’ordinateur quantique ?

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Mis à jour le 02/08/2022
Lever l’un des obstacles majeurs au développement de l’ordinateur quantique. Voilà ce que rêve de faire Zaki Leghtas, enseignant-chercheur de l’École des mines ParisTech PSL au sein de l’équipe-projet commune Quantic (CNRS, ENS PSL, Inria, Mines ParisTech PSL, Sorbonne Université). Une telle ambition méritait bien des financements et c’est chose faite depuis juillet dernier : Zaki Leghtas a obtenu la bourse Starting Grant de l’ERC (European Research Council ). Une très bonne nouvelle qui va notamment lui permettre de mener à bien ses recherches sur la correction automatique des erreurs dans les processeurs quantiques.

« Déposer un dossier pour l’ERC Starting Grant, c’est se lancer dans une introspection, relate Zaki Leghtas, chercheur au sein de l’équipe-projet commune Quantic (CNRS, ENS PSL, Inria, Mines ParisTech PSL, Sorbonne Université), et enseignant-chercheur à l’ENS et aux Mines. Car il faut avant tout se demander : sur quoi voudrais-je travailler pendant ces cinq prochaines années ? Et ensuite, il y a 30 pages pour convaincre que l’on tient un bon projet et que l’on est la bonne personne pour le porter. »  Le jeune chercheur a réussi : sa demande de bourse, déposée en octobre 2018, a reçu une réponse favorable définitive en juillet 2019. Il se voit ainsi accorder 1,5 million d'euros sur cinq ans. 

Le projet derrière ce dossier ? Il est double. Le premier axe porte sur la construction d’un circuit supraconducteur capable de corriger automatiquement des erreurs quantiques. Ce qui signifie que le but est ni plus ni moins que de surmonter l’un des principaux obstacles au développement de l’ordinateur quantique, ce supercalculateur du futur. 

L’innovation est dans la créativité

L’information dans un ordinateur est sans arrêt contaminée par des erreurs, explique le chercheur. Or dans le monde quantique, mesurer ces erreurs est extrêmement difficile car la mesure influence le paramètre !

D’ailleurs Google et IBM, qui travaillent sur le sujet, cherchent à exploiter un ordinateur quantique même avec des erreurs, en attendant de trouver comment supprimer celles-ci. 

Mais les longues heures de discussions de Zaki Leghtas lors de sa thèse Inria/Mines avec Mazyar Mirrahimi, responsable de l'équipe-projet Quantic, ou plus tard, à Yale, avec Michel Devoret, font émerger une idée novatrice pour corriger automatiquement des erreurs quantiques : encoder l’information non pas dans des qubits (l’équivalent du bit dans les ordinateurs classiques) mais dans des oscillateurs harmoniques. Ce qui, pour le commun des mortels, correspond à une sorte de pendule qui dissipe de l’énergie par frottement. « Pour un physicien quantique, induire du frottement pour corriger des erreurs peut sembler tout à fait contre-intuitif, puisque normalement le frottement génère des erreurs, admet Zaki Leghtas. Mais dans le système que nous avons imaginé, les frottements feraient disparaître les erreurs existantes, sans en générer de nouvelles. »  

Nombreuses applications

Une idée unique au monde qui, selon le chercheur, permettrait de produire des circuits supraconducteurs performants pouvant servir de briques de base à l’ordinateur quantique. Les applications ne s’arrêteraient d’ailleurs pas là : savoir corriger les erreurs ouvrirait la porte par exemple à la métrologie quantique. C’est-à-dire à la construction d’appareils de mesure d’une précision jusqu’ici inégalée. Ou encore à la communication quantique, qui offrirait des échanges hautement sécurisés. Enfin, l’une des premières applications potentielles est la simulation quantique. « Nous pourrions construire artificiellement une molécule sur l’ordinateur quantique, voir comment elle évolue, simuler des réactions chimiques, des matériaux… dont découleraient de nombreuses autres applications » , détaille le chercheur. 

Le chemin est cependant encore long. Pour le moment, la théorie doit être affinée, « car le diable se cache toujours dans les détails » , rappelle Zaki Leghtas, puis testée. Et c’est à ces deux points que vont être consacrés les deux tiers du budget de l’ERC Starting Grant . Les fonds permettront de recruter un postdoctorant et deux étudiants, de subvenir aux frais de gestion et d’acheter des équipements très spécifiques, tel un "superfrigo". Les circuits supraconducteurs ont en effet la particularité de ne fonctionner qu’à la température de 1 Kelvin (soit -272C°). Proscrite, la chaleur injecte en outre des photons thermiques dans le circuit, ce qui créé du bruit et donc des erreurs supplémentaires. Bref, ces recherches-là doivent être menées au frais !

Retour aux sources

Et le tiers restant du budget ? Il servira au deuxième axe du projet, plus fondamental celui-ci. « Il se concentre sur un sujet qui me fascine : l’utilisation des circuits supraconducteurs pour détecter des particules élémentaires avec une précision inégalée » , s’enthousiasme Zaki Leghtas. Ces particules, ce sont celles qui transportent le courant dans un supraconducteur et qu’on appelle des "paires de Cooper" : des paires d’électrons.

Elles ont déjà été détectées de manière indirecte, mais je veux construire un circuit supraconducteur qui me permette de mesurer ces paires d’électrons dans un autre supraconducteur, poursuit le chercheur. On se rapproche plus ici de la quête fondamentale du physicien qui est de sonder la nature.

Zaki Leghtas a cinq ans devant lui pour commencer son œuvre…