Traitement du signal

Quand la modélisation mathématique aide les plongeurs à communiquer

Date:
Mis à jour le 12/08/2022
Des chercheurs de l’équipe Valse, du centre Inria de l'Université de Lille, ont accompagné 52 Hertz, une jeune startup qui développe un dispositif de communication sous-marine pour les plongeurs. Une innovation à laquelle ils ont apporté toute leur expertise en traitement du signal, indispensable à sa montée en maturité.
Plongeur qui communique
Anurag Harishchandraka - Unsplash

Le traitement du signal, une idée profonde

Les amateurs de plongée sous-marine le savent : on ne s’aventure pas seul à la découverte des profondeurs, mais toujours en binôme. Les frères Guerche, Gabriel (24 ans) et Jonas (29 ans) ont découvert ensemble la plongée, il y a quelques années seulement, alors qu’ils étaient étudiants à Sorbonne Université. Après une semaine de pratique en Méditerranée, sur la route qui les ramène à Paris, leur vient une idée : pourquoi ne pas améliorer la communication sous-marine des plongeurs ? Ceux-ci n’ont en effet à leur disposition qu’une palette limitée de signes pour savoir si tout va bien, dire si leur matériel a un dysfonctionnement, indiquer une direction, faire part de leur état de santé, échanger des informations sur la faune et la flore, communiquer lors de sessions de formation, etc.

Les deux frères imaginent alors le dispositif qu’ils perfectionnent aujourd’hui depuis deux ans après avoir créé la startup 52 Hertz  (dont le nom est inspiré par la fréquence du chant d’une baleine unique en son genre).

La dernière version en date de leur invention intègre une innovation codéveloppée avec le soutien d’Inria, et c’est auprès de l’équipe-projet Valse, spécialisée en théorie du contrôle pour le traitement du signal, qu’ils ont trouvé les scientifiques qui les accompagnent dans leurs développements. « Nous avons rapidement voulu concrétiser notre idée, se souvient Jonas Guerche. Comme je terminais à l’époque mes études (un master en management de l’innovation de Sorbonne Université et en énergie renouvelables de Mines Paris Tech), et que Gabriel les poursuivait (avec une licence de physique de Sorbonne Université puis un master en énergie nucléaire de l’Université Paris Saclay), nous nous sommes jetés à l’eau en créant 52 Hertz avec le statut 'pépite' (étudiant-entrepreneur). »

Un bijou d’inventivité

La suite de l’aventure, c’est Gabriel Guerche qui la relate : « Peu après cette création, je suis entré en contact avec un chargé de valorisation d’Inria, à qui j’ai écrit directement pour présenter notre besoin d’être accompagnés par des experts en traitement du signal. Nous avons été très agréablement surpris qu’un centre de recherche aussi prestigieux qu’Inria réponde à notre demande ! Le descriptif de notre projet a en effet été largement diffusé au sein de l’institut et nous avons rapidement été mis en contact avec Denis Efimov et Rosane Ushirobira, chercheurs d’Inria à Lille ».

Le dispositif développé par 52 Hertz est une perle d’inventivité, car, dans l’eau, le son se propage très mal : il faut donc trouver d’autres moyens pour communiquer. Les frères Guerche ont eu l’idée d’équiper l’embout du détendeur d’un microphone et d’un récepteur de petite taille. Le son de la voix est transmis du micro d’un plongeur au récepteur de l’autre par l’intermédiaire de mini-boitiers « radio », puis il se propage du récepteur à l’oreille du plongeur, par voie osseuse, ce qui lui permet d’entendre !  « L’invention de 52 Hertz demande cependant une étape de traitement du signal, dans ce cas la voix, explique Rosane Ushirobira, qui s’intéresse aux aspects théoriques de cette discipline. En effet, la voix est déformée par l’embout que le plongeur tient en bouche. Dans la première phase de notre collaboration, nous avons appliqué des méthodes mathématiques de filtrage afin d’atténuer cette perturbation de la voix ».

Un algorithme de filtrage performant

Pour cela, les scientifiques disposaient de nombreux enregistrements de sons – des lettres prononcées individuellement, ou plusieurs sons formant des phonèmes. « Avec ces données et des algorithmes dont nous maîtrisons bien les propriétés, nous sommes parvenus à rehausser l’intelligibilité de la voix », résume la chercheuse.

Il ne s’agit cependant que d’un palier intermédiaire car le filtrage doit aussi être efficace sous l’eau ! « L’immersion pose d’autres problèmes, commente Denis Efimov, responsable de l’équipe Valse. Sous l’eau, la fréquence des sons diminue avec la profondeur et les bulles et la respiration du plongeur créent de nouvelles distorsions du son : le filtrage doit être capable de distinguer, quelles que soient les conditions de plongée, la partie utile du signal de ces perturbations, lesquelles ont un niveau et des fréquences proches de celle de la voix. »

Les contraintes du monde sous-marin

Autre contrainte posée par le dispositif de 52 Hertz : les algorithmes de filtrage doivent être hyper-performants, pour accomplir leurs tâches de filtrage en temps réel, en demandant le minimum de ressources de calcul et en limitant leur consommation d’énergie – condition sine qua non pour pouvoir être utilisés en plongée. Fort heureusement, les chercheurs de Valse travaillent déjà sur des algorithmes efficaces dans les situations où des signaux sont fortement perturbés et sur des méthodes utilisables dans des applications embarquées : ils ont par exemple déjà appliqué avec succès les fruits de leurs recherches sur un projet de lunettes connectées présentant les mêmes contraintes.

Photo frères Guerche et Nathan Capon

Toutefois, la tâche ne s’arrête pas là. Il reste à adapter les algorithmes aux signaux de voix sous l’eau, là encore à partir de données d’enregistrements fournies par 52 Hertz. Ce travail est confié à Nathan Capon, étudiant à Phelma, une école d’ingénieurs de la région grenobloise, en stage de deuxième année chez Inria. « Une partie de mon travail consiste à implémenter les algorithmes de filtrage dans un langage de programmation souple (Matlab, Python) afin de pouvoir les embarquer sans difficulté majeure. Ce stage me permet d’appliquer directement des connaissances théoriques dont je me rends compte de l’importance. J’apprends énormément au contact de Denis et Rosane et avec mes échanges avec les fondateurs de 52 Hertz, en découvrant les univers de la startup et du centre de recherche », s’enthousiasme le jeune ingénieur, qui a eu la chance de participer à des essais du dispositif à Brest début juillet, en compagnie de Jonas et Gabriel.

Un binôme couronné de succès

Du côté de l’équipe Valse, ce projet constitue une excellente opportunité d’appliquer, dans des temps relativement courts, des méthodes qu’elle maîtrise et développe de longue date. « Cette collaboration avec 52 Hertz, outre qu’elle nous est agréable sur le plan humain, nous permet de confronter nos travaux à de nouveaux cas d’usage », confie Rosane Ushirobira. « Notre partenaire attend de nous des résultats concrets, nous n’engageons donc pas de recherche nouvelle pour répondre à son besoin, mais nous portons avec ce projet un regard neuf sur nos méthodes… C’est l’opportunité, sans doute plus tard, de nouvelles pistes de réflexion ou d’innovation », précise Denis Efimov.

Quelle est la prochaine étape ? L’expertise apportée par Inria a permis aux frères Guerche de consolider un élément central de leur invention, mais il leur reste à valider et tester l’ensemble avant d’envisager son utilisation et sa commercialisation. « Nous comptons dans un premier temps proposer le dispositif aux plongeurs professionnels (équipes techniques, scientifiques, de la maintenance sous-marine, des forces armées, etc.) et s’il s’avère performant, le commercialiser au grand public. Nous attendons d’ici à la fin de l’année une importante levée de fonds pour accompagner notre développement », indique Jonas Guerche.

La collaboration s’avère donc fructueuse, tant pour l’équipe lilloise que pour la startup finistérienne : preuve qu’en innovation comme en plongée sous-marine, l’essentiel est de former un bon binôme !

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