Stéphane Redon : Inventer l’ingénierie à l’échelle atomique

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Mis à jour le 15/10/2020
Stéphane Redon fait partie des quatre candidats Inria sélectionnés dans la catégorie jeune chercheur de l'appel à projet européen ERC 2012. Son projet, baptisé ADAPT, consiste à développer des méthodes mathématiques et algorithmiques adaptatives pour réaliser un logiciel de conception assistée par ordinateur de nanosystèmes aussi générique que l’est, pour les objets macroscopiques, le logiciel de référence de conception par ordinateur "Catia" développé par Dassault Systèmes.

D’où vous vient cette passion pour le monde nano ?

Je me suis toujours intéressé à beaucoup de domaines en même temps. C’est d’ailleurs ce qui m’intéressait à l’École polytechnique : avoir l’opportunité d’apprendre autant en maths qu’en économie, en physique ou en biologie. C’est aussi ce qui m’attire dans les nanosciences, auxquelles je m’intéresse depuis 2005 : cette possibilité d’interagir autant avec des biologistes, des physiciens que des chimistes, des spécialistes de l’industrie pharmaceutique comme des matériaux.

Vous insistez sur le fait que votre logiciel de prototypage virtuel d’objets nanoscopiques sera générique, adapté à toutes ces disciplines. Comment est-ce possible ?

Cela peut effectivement sembler paradoxal : contrairement aux logiciels de prototypage d’avions, de voiture ou de tout objet manufacturé, nous sommes beaucoup moins libres de choisir tel ou tel design à l’échelle nano, car les contraintes imposées par la physique sont beaucoup plus prégnantes : les distances entre atomes ne peuvent être arbitraires, les conformations moléculaires sont régies par des lois complexes, etc. Malgré tout, la simulation dynamique moléculaire permet de représenter protéines, polymères et matériaux de manière unifiée : comme un ensemble de particules en interaction.

Comment êtes-vous parvenu à simplifier cette approche rigoureuse ?

En utilisant une simulation dite "adaptative", qui permet de concentrer les calculs sur une partie seulement du système, la plus importante, là où les atomes bougent le plus. En 2008, nous avons commencé à développer notre propre logiciel, SAMSON, dans le cadre d’un projet ANR. SAMSON permet de mener des expérimentations virtuelles, par exemple en modifiant la géométrie d’une molécule et en visualisant directement sa nouvelle configuration stable, en temps réel.

Que proposez-vous de faire avec votre bourse ERC ?

Début 2011, nous avons introduit la théorie du "Hamiltonien adaptatif", qui permet de formaliser rigoureusement les simulations adaptatives de particules. En particulier, cette théorie prouve que ces simulations, bien qu’adaptatives, permettent de prédire des propriétés qui intéressent les biologistes, les physiciens, etc. La bourse ERC va nous permettre de développer cette théorie, et de concevoir un ensemble d’algorithmes de simulation associés. Il nous faudra par exemple identifier quels paramètres de simplification choisir pour accélérer le plus les calculs, vérifier sur quelles tailles de molécules notre méthode fonctionne, etc. Nous intégrerons tous les algorithmes développés dans SAMSON. Mon objectif est que SAMSON devienne un environnement de développement ouvert pour la conception de nanosystèmes, et fédère une communauté d’utilisateurs et de développeurs. Ma bourse me permet de disposer des ressources nécessaires. Avec 1,5 million d’euros, je compte consolider mon équipe et recruter trois doctorants, deux postdoctorants et un ingénieur sur cinq ans. Un cadre de travail serein.

La preuve par le Hamiltonien, une idée riche de simplicité

Le Hamiltonien est un opérateur mathématique pouvant décrire un système de particules. C’est la somme de l’énergie cinétique (l’énergie liée au mouvement des particules) et de l’énergie potentielle (l’énergie liée à l’interaction entre les particules). L’idée géniale de Stéphane Redon est de modifier le Hamiltonien – le transformer en un Hamiltonien adaptatif  – pour que la masse de chaque particule soit fonction de son énergie cinétique. Dans la version la plus simple, plus une particule se déplace lentement, et plus on lui attribue une masse élevée, bientôt infinie – bloquant ainsi le mouvement de la particule en question. Une façon élégante et rigoureuse de déterminer où et comment les calculs doivent être concentrés.