Open science/Open Access

Science ouverte : quelle politique de prise en charge des APC pour Inria ?

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Mis à jour le 30/10/2023
L’essor de l’accès ouvert (open access) aux publications a été, ces dix dernières années, accompagné par l’apparition d’un nouveau type de frais liés à la publication d’articles scientifiques : les APC (pour Article Processing Charges ou frais de publication). Un type de dépenses qu’Inria a, très tôt et dans le cadre de sa politique de science ouverte, décidé d’encadrer et d’accompagner en interne.
APC Inria
© Unsplash / PhotoChrista Dodoo

Open Access : pour un accès universel à la littérature scientifique

L’Open Access, autrement appelé "libre accès", est un mouvement mondial qui vise à mettre à disposition de tous les informations issues de la recherche telles que les publications et les données, et ce sans obstacles financiers, juridiques ou techniques. Son objectif : augmenter la visibilité et la réutilisation des résultats de la recherche universitaire, et ainsi contribuer à la découverte de solutions répondant aux grands enjeux de société.

Plusieurs instituts de recherche et universités sont entrés, depuis plusieurs années déjà, dans le mouvement de la science ouverte, à commencer par Inria, qui fut l’un des premiers signataires de la déclaration de Berlin sur le libre accès (2003).

Plusieurs stratégies sont possibles pour la diffusion de la production scientifique en libre accès :

  • La voie verte ou Green Open Access, qui représente la diffusion en texte intégral de la production scientifique dans des archives ouvertes, comme dans l'archive ouverte HAL ;
  • La voie diamant, qui représente la publication gratuite dans une revue Open Access gratuite ;
  • La voie dorée avec APC, qui représente la publication payante dans une revue Open Access gratuite, dans un modèle "auteur-payeur" ;
  • La voie hybride, qui représente la publication payante en Open Access dans une revue sous abonnement, dite "hybride".

Ces deux derniers modèles de publication (doré et hybride) entraînent des frais de publication appelés APC (pour Article Processing Charges), facturés pour que les articles soient publiés et librement diffusés. Ces frais de publication varient d’une revue à l’autre et sont, très généralement, plus élevés dans les revues hybrides que dans les revues en libre accès total.

Libre accès et éditeurs scientifiques : la problématique des APC

L’accélération du mouvement pour l’Open Access ces dernières années a en effet vu se développer le modèle économique des APC, en grande partie à l'initiative des éditeurs privés. Ces frais, qui représentent pour les éditeurs une manière de couvrir les coûts de publication (les coûts éditoriaux, coûts de gestion du système d'évaluation par les pairs), font aujourd’hui partie du débat éthique sur l'accès ouvert.

En cause : l’augmentation significative des prix de ces frais de publication (initialement présentés comme une solution à la hausse des coûts d'abonnement) ces dernières années, amenant par conséquent une véritable problématique d’égalité de l'accès à la publication. Dans un article intitulé "Article processing charge hyperinflation and price insensivity: an open access sequel to the serials crisis", le chercheur Shaun Yon-Seng Khoo (Université de Montréal) indique ainsi que l'augmentation des APC entre 2005 et 2018 s’est fait à un rythme trois fois supérieur à celui qui serait attendu si les APC étaient indexés par exemple sur l’inflation.

Autre problématique : le phénomène de double paiement (appelé "double dipping") demandé par les revues "hybrides", à la fois au travers des abonnements et des APC. « Historiquement, lorsque nous nous sommes emparés de ce sujet, nous nous disions que le paiement des APC pour publier allait avoir un impact significatif sur le montant des abonnements. Certains éditeurs ont joué le jeu, en déduisant du montant des abonnements le prix des frais de publication, mais globalement le montant des APC continue d’augmenter de façon significative, tout comme le montant des abonnements », analyse Claire Büren, responsable acquisitions numériques et APC chez Inria, avant d’ajouter « Il y a urgence à repenser les modèles économiques car ça n’est pas soutenable sur le long terme. »

Le modèle économique des APC a également, ces dernières années, vu émerger des "revues prédatrices" qui, conscientes de la nécessité pour les chercheurs de publier, font un démarchage agressif en leur proposant de les publier moyennant un certain coût, tout en ne pouvant certifier la qualité scientifique des futures publications.

Inria : une stratégie APC de longue date, calquée sur une politique d’Open Access

Engagé depuis de nombreuses années dans la définition d’une politique de science ouverte, Inria a pris le sujet des APC à bras le corps dès 2009, en allouant un budget centralisé national à la prise en charge des frais de publication, géré par le service IES (Information & édition scientifiques). L’objectif : avoir une vision complète et centralisée du phénomène et de son évolution.

« Le danger des APC, c’est la fragmentation complète : chaque chercheur peut très bien payer des APC et, ce faisant, on perd toute visibilité budgétaire et stratégique vis-à-vis des éditeurs. Ce budget centralisé nous permet de suivre l’évolution des frais de publication par éditeur, mais aussi les revues qui ont du succès auprès de nos auteurs, ainsi que les disciplines et sous-disciplines », explique Claire Büren.

Parallèlement, l’institut a mis en place une politique de prise en charge des APC conforme à son engagement pour la science ouverte, en décidant de rejeter très tôt le modèle des éditeurs hybrides, et ainsi de ne financer que des articles publiés en Open Access, dans des revues elles-mêmes en Open Access. Chaque demande de financement d’une publication par des APC est analysée dans une logique de sensibilisation, d’accompagnement et de recommandation pour aller davantage vers des revues dites vertueuses.

« Nous ne voulons absolument pas priver les chercheurs de leur liberté de choix mais notre rôle, c’est de les alerter et parfois de les aider à s’interroger sur ce qui les a amenés à avoir envie de publier dans une revue en particulier. Nous avons un certain nombre d’indices qui nous permettent aujourd’hui d’identifier le type d’éditeur, vertueux ou prédateur. Nous invitons également les scientifiques à aller vérifier la composition du comité éditorial ou si les articles déjà publiés semblent de qualité », indique Claire Büren.

Inria a également, depuis quelques années déjà, institué une obligation de dépôt dans HAL pour toutes ses publications, afin que seuls les articles présents en texte intégral dans le portail HAL-Inria soient pris en compte pour les rapports d’activités de ses équipes de recherche.

« Ça permet d’avoir un corpus intégral de nos publications dans HAL tout en garantissant un archivage pérenne des articles », ajoute Claire Büren.

Un mouvement qui prend de l’ampleur

Comme Inria, d’autres instituts et universités se penchent aujourd’hui sur l’accompagnement des chercheurs dans leurs dépenses de publication, dans un objectif de rééquilibrage face aux stratégies des éditeurs scientifiques. C’est notamment le cas de l’université de Lille, qui a mis en place le 1er janvier 2022 un fonds dédié aux APC, avec pour objectif de mieux gérer ses dépenses de publication en Open Access, mais également d'accompagner les chercheurs dans leurs démarches de publication.

« Les éditeurs voudraient imposer l’idée qu’un APC a une valeur qui diffère selon la qualité supposée et la notoriété de la revue, ce qui est aberrant puisque ce qui fait la valeur de la publication, c’est sa qualité intrinsèque, et non la revue dans laquelle elle est publiée », explique Julien Roche, Directeur Bibliothèques universitaires et Learning center de l’université de Lille. « Ce fonds va nous permettre de nouer le dialogue le plus tôt possible avec les chercheurs, plutôt que d’arriver a posteriori dans des démarches de publications qui se seraient engagées dans une voie non conforme aux principes de la science ouverte, et ainsi de prendre la main dans le jeu d’influence qui se pose autour de la valeur d’un APC », ajoute Geoffrey Haraux, en charge du suivi des APC au sein du service de documentation.

Le but de cette démarche étant d’accompagner les chercheurs dans une démarche de science ouverte vertueuse, mais pas à n’importe quel prix : « On est là pour que la science circule, et qu’elle ne soit pas bridée par un système dirigé par le secteur marchand », indique Julien Roche.

Le CNRS, l’Inrae, l’Inserm et le CEA ont, eux aussi, pris position face aux revues hybrides ou aux frais liés aux publications dans des revues, en dévoilant des feuilles de routes dédiées à l’Open Access ces dernières années. Des initiatives qui, mises bout à bout, commencent à faire évoluer les choses dans le secteur de l’édition scientifique : « Nous sommes désormais plus dans une logique dans laquelle nous appréhendons notre relation à l’éditeur en reconsidérant les coûts globaux. Nous voyons, d’ailleurs, émerger maintenant ce que l’on appelle des" accords transformants", et les établissements commencent à soutenir les revues aux modèles plus vertueux.  C’est ça qui va continuer à bouleverser profondément le paysage », conclut Claire Büren.