Intelligence artificielle

Robotique : Wall-E prendra-t-il un jour vie ?

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Mis à jour le 19/04/2023
Papiers d’emballages, mégots, fragments de plastique, masques chirurgicaux… Et si nous pouvions confier le nettoyage de l’espace public à une flottille de petits robots mobiles ? C’est ce que propose le projet CrowFox, en pleine phase exploratoire avant de se constituer en startup.
Photo de l'équipe de la startup Crowfox et de leur robot
CrowFox

Intelligence artificielle et robotique pour lutter contre les déchets

Avez-vous vu Wall-E ? Ce dessin animé met en scène un robot ménager autonome, abandonné sur une planète Terre submergée d’ordures. Pour faire face aux enjeux environnementaux bien réels de la problématique des déchets et épauler les agents d’entretien, le personnage pourrait bientôt devenir réalité, sous le nom de CrowFox.

À l’origine de CrowFox, il y a une prise de conscience écologique. Celle de Vincent Le Doze, 30 ans, ingénieur de recherche diplômé de l’ENSTA Bretagne. En 2020, alors en poste au sein de l’équipe CHROMA au centre Inria-INSA Lyon & Grenoble, il y participe à la conception d’algorithmes et au développement de modèles pour la navigation et l’opération de robots mobiles dans des environnements dynamiques, où ils sont amenés à interagir avec l’humain.

Un rapport de l’ADEME sur les dépôts de déchets sauvages va influencer tout particulièrement le jeune ingénieur. Il y comprend que, « malgré les campagnes de sensibilisation, la problématique des dépôts sauvages d’ordures est constante, voire en voie d’aggravation ». Cette préoccupation, entrant en résonance avec sa fibre entrepreneuriale, vient faire vibrer l’envie d’utiliser ses compétences pour proposer une aide à la collecte des déchets disséminés dans l’environnement. Son idée ? Une solution robotique et basée sur l’intelligence artificielle, évidemment !

Un an de soutien pour développer une cleantech

Le projet est porteur et le contexte favorable. Sur les conseils de son chef d’équipe Olivier Simonin, professeur des universités à l’INSA Lyon, Vincent Le Doze se rapproche de l’administration d’Inria, qui lui propose d’intégrer en octobre 2020 Inria Startup Studio, le programme de soutien aux entrepreneurs Deeptech numériques de l’institut. Cet appui d’Inria va financer pour un an son salaire et celui de l’ingénieur Alexis Saget qui vient l’épauler, mais aussi l’achat des composants nécessaires pour construire les premiers démonstrateurs.

Au départ, Vincent Le Doze songe à un système birobot. Son idée ? « Associer un drone (crow) chargé de la détection des déchets au sol et un robot terrestre (fox) qui se déplace pour les récupérer. » Du fait de la complexité technique, réglementaire et de la difficile acceptabilité sociétale à occuper l’espace aérien public, le projet se recentre sur la seule partie robot au sol.

La conception de celui-ci peut s’appuyer sur un certain nombre de solutions existantes. C’est notamment le cas de l’architecture physique de base, le LeoRover, un robot à roues tout terrain, compact et étanche. Même chose du côté des logiciels avec l’utilisation de réseaux d’apprentissage profond dont le code est open source et qui sont facilement réentraînables. TACO, une base de données académique recensant des photos de déchets, a d’ailleurs facilité la conception d’un premier modèle capable de détecter et d’identifier visuellement les déchets dans son environnement.

Un service intelligent et communicant

Contrairement à ses collègues tondeuses, assignées à un espace délimité par un câble enterré, CrowFox est capable de se localiser de façon autonome. Une fonctionnalité rendue possible par la fusion d’un GPS et d’une technique proprioceptive appelée "odométrie visuelle". Celle-ci consiste à mesurer les déplacements relatifs du robot par rapport à une position de départ, en combinant les informations visuelles acquises par une caméra stéréoscopique avec des mesures de vitesse et d’accélération prises directement sur les roues. Le robot est donc en mesure de "reconnaître" son environnement et de recaler précisément sa position sur une carte. En combinant ces deux technologies, GPS et odométrie, on compense leurs défauts respectifs pour obtenir in fine une précision de localisation de l’ordre de la dizaine de centimètres !

La stratégie de navigation de CrowFox est initialement pensée sous la forme d’un itinéraire prédéterminé, une tournée comportant des points de passage obligés. Mais « elle est susceptible d’évoluer vers la patrouille spécifique des zones ayant le plus de probabilité de contenir des déchets, selon l’expérience accumulée par le robot et les indications des opérateurs humains connaissant le site ». Car s’il est autonome dans la réalisation de sa tâche, CrowFox peut néanmoins être supervisé à distance, que ce soit pour définir les zones à nettoyer, pour qu’il rende compte de l’état d’avancement de sa ronde, ou d’éventuels problèmes (robot bloqué, vandalisme…). Pour ce faire, ses concepteurs se sont inspirés des technologies de l’Internet des objets et ont équipé leur machine d’une antenne 4G.

Une startup, pourquoi pas ?

Pour Vincent Le Doze, l’année 2021 a été consacrée au développement de prototypes, mais aussi à l’étude des marchés cibles. En effet, pour affiner la partie mécanique, notamment le ramassage des déchets, il est nécessaire de mieux déterminer l’utilisateur final de CrowFox. Parcs de loisirs, sites touristiques, autoroutes, etc. : les premières pistes identifiées ont toutes déjà leurs propres solutions. Pour autant, pas de quoi se laisser décourager, car d’autres utilisateurs potentiels existent : plages, campus, événementiel…

Mais les explorer est chronophage. Vincent Le Doze est donc parti en quête d’un partenaire pour le développement commercial. L’appui d’Inria lui a permis de publier une annonce sur la plate-forme Les Deeptech.fr, dès son lancement en septembre 2021 par BpiFrance.
C’est ainsi qu’il a rencontré Chin Lim, 40 ans, ingénieur des Arts et Métiers. Ce titulaire d’un master de génie mécanique de l’université de Laval (Canada) a travaillé quatorze ans dans l’industrie gazière et le traitement des fumées. Il y a lui aussi développé une préoccupation environnementale. Père d’une petite fille de trois ans, il a envie de pivoter vers un métier porteur de sens et qui lui permette d’assouvir ses envies de faire du commerce.

Entre eux, le courant passe. Car ce projet répond à la volonté des deux ingénieurs de « montrer par l’exemple que la robotique et l’intelligence artificielle peuvent se mettre au service de l’humain et de l’environnement ». Mi-janvier 2022, ils intègrent l’incubateur SQYcub via son partenaire Incub'alliance. Au programme : cours de stratégie commerciale, création du modèle économique, réflexion sur le modèle de société, recherche d’investisseurs… Avec un premier jalon fixé en juin : décider s’ils créent ou non leur startup.

« Un robot de soutien aux équipes de nettoyage, évolutif, modulable, facilement mis à jour, le tout écoconçu et fabriqué en France par une entreprise à mission, dont la gouvernance fait la part belle à l’esprit d’initiative des employés », voilà le futur que Vincent Le Doze et Chin Lim envisagent. Une façon pertinente de montrer que la robotique et l’informatique peuvent répondre aux grands défis écologiques de notre temps.

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