Rémi Abgrall : Addecco, bouleverser les modèles en dynamique

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Mis à jour le 27/03/2020
Simplifier des modèles de calcul numérique comme les simulations de phénomènes aérodynamiques utilisés dans l’industrie aéronautique, automobile, ou encore aérospatiale : tel est l’objectif de Rémi Abgrall, qui a obtenu une bourse du Conseil européen de la recherche pour tester de nouvelles méthodes numériques dans le cadre de son projet ADDECCO.

Modéliser l’écoulement de l’air autour d’un avion en croisière, d’un train grande vitesse au passage d’un tunnel ou d’une sonde spatiale à son entrée dans l’atmosphère martienne, la combustion du carburant dans un moteur ou encore l’écoulement de l’eau dans la baie du Mont-Saint-Michel, tous ces problèmes complexes d’aéro ou d’hydrodynamique font appel à des modèles de mécanique des fluides.
Pour les résoudre, les industriels utilisent actuellement des codes de calcul mis au point il y a vingt-cinq ans. Des codes qu’ils adaptent sans cesse pour modéliser plus finement les phénomènes, traiter des géométries de plus en plus complexes et tenter de mieux prendre en compte les phénomènes physiques, les incertitudes...

Jusqu’alors, la puissance croissante des ordinateurs puis leurs architectures de calcul parallèle ont suffi.
Mais la démarche atteint désormais ses limites.
« Pour aller plus loin, affirme Rémi Abgrall, cofondateur du projet SCALAPPLIX, il faut réellement améliorer les méthodes numériques à la fois du point de vue mathématique et informatique. C’est l’objet du projet ADDECCO. Sur cinq ans, nous allons proposer, développer et valider de nouvelles méthodes intéressant les industriels et qui devraient avoir un fort impact sur leurs codes. » 

À ma connaissance, c’est la première fois que l’on tentera d’appliquer des techniques de modélisation de mécanique des fluides compressibles en tenant compte de manière exacte de géométries aussi complexes. Cela devrait bouleverser la simulation aérodynamique, mais aussi beaucoup d’autres domaines comme l’acoustique, la géophysique ou la magnéto-hydrodynamique.

Éditeur de plusieurs journaux spécialisés en calcul scientifique, Rémi Abgrall a été parmi les premiers à promouvoir ces nouvelles méthodes qui traitent différemment trois classes de problèmes.
Tout d’abord, la prise en compte des inconnues et des incertitudes dans les modèles : inconnues sur la géométrie, sur les phénomènes physiques, sur les écoulements... Au lieu de leur attribuer des valeurs fixées a priori, elles proposent de les considérer comme des variables aléatoires.
Ensuite, la gestion de la géométrie des objets. Pour l’améliorer, Rémi Abgrall utilisera la méthode de calcul numérique qu’il développe depuis une dizaine d’années dans le but de résoudre, avec la même précision formelle et une grande efficacité, tant les problèmes de discontinuités d’écoulement (ondes de choc), que les questions relatives aux zones plus régulières de l’écoulement.

Ce problème m’avait été soumis par un ingénieur de Dassault Aviation, raconte-t-il. Je n’avais pas le temps d’y réfléchir... jusqu’à ce qu’une mauvaise chute de vélo m’astreigne à l’inactivité pendant trois mois. J’en ai profité pour commencer à formaliser l’approche.

Résultat : un schéma numérique précis, robuste et suffisamment souple pour pouvoir prendre en compte, avec les mêmes fonctions mathématiques, à la fois la géométrie définie par la CAO (conception assistée par ordinateur) et les variables physiques décrivant l’écoulement.
Enfin, troisième classe de problème : la simplification de la modélisation des écoulements les plus compliqués, dits instationnaires (instables au cours du temps). La méthode développée par Rémi Abgrall devrait, là aussi, apporter une solution inédite. Comment ? En améliorant la précision des calculs sans pour autant faire "exploser" leur volume, grâce à des représentations des solutions plus liées à la physique des écoulements qu’aux contraintes mathématiques qui ont jusqu’alors guidé la conception des méthodes numériques.

« L’efficacité des méthodes numériques est fondamentale. »

Bruno Stoufflet, directeur scientifique de Dassault Aviation, travaille avec Rémi Abgrall et d’autres équipes d’Inria depuis une quinzaine d’années, en particulier sur l’évaluation des performances aérodynamiques des avions d’affaires et de combat.

« Nous utilisons les simulations numériques avant la conception d’un avion. Elles nous permettent de prévoir ses performances et de faire les meilleurs choix d’architecture, avec le meilleur compromis en fonction des objectifs visés. Nous évaluons ainsi des paramètres aérodynamiques comme la portance, mais aussi la structure des avions, leur furtivité. Ces méthodes sont plus ou moins efficaces en termes de précision et de rapidité d’évaluation des performances. Le calcul par ordinateur impose de simplifier les formulations des phénomènes physiques. Grâce à leur bonne connaissance des méthodes numériques et à leur analyse mathématique, les chercheurs de SCALAPPLIX nous aident à minimiser les erreurs numériques que cela introduit. »