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Rachid Deriche, trois vies scientifiques en une

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Mis à jour le 17/05/2023
Doctorant à son arrivée chez Inria, chercheur émérite aujourd’hui, Rachid Deriche s’est consacré tour à tour à trois domaines scientifiques, en apportant à chacun des avancées majeures : l’analyse mathématique des images [1979-1988], la vision par ordinateur [1988-2002] et la neuro-imagerie computationnelle [2002-2022]. Leur socle commun : les mathématiques et l’informatique pour la modélisation et la simulation. Leur fil conducteur : les images et leurs applications. Retour sur un parcours hors normes et une carrière exceptionnelle.
Rachid Deriche, directeur de recherche émérite
© Inria / Photo Kaksonen

Mettre les images en équations : le « filtre de Deriche »

En 1979, fraîchement diplômé de Télécom Paris, Rachid Deriche entre chez Inria à Rocquencourt pour y étudier le traitement numérique et l’analyse mathématique des images. « J’étais séduit par le fait de considérer une image comme un objet mathématique, à traiter avec des modèles et des équations. »

L’informatique est alors à ses balbutiements. Une image de 256 x 256 pixels suffit parfois à saturer la mémoire des rares ordinateurs disponibles ! Il faut inventer des techniques de filtrage rapides et peu gourmandes en puissance de calcul. Le jeune chercheur s’y consacre avec un certain succès. Il développe une classe de filtres mis en œuvre très astucieusement de manière récursive, afin de traiter les images avec une complexité de calcul réduite et constante, quelle que soit la taille du filtre.

L’application d’un de ces filtres (connu depuis comme le « filtre de Deriche ») au problème de l’extraction des contours lui permet de développer un algorithme rapide et optimal en termes de robustesse et de localisation, toujours utilisé et qui a été repris pour des exécutions en temps réel par différents processeurs.

Titre

Inria : une oasis intellectuelle et scientifique

Verbatim

J’ai travaillé chez Inria pendant 40 ans, dans une sorte d’oasis intellectuelle et scientifique, où j’ai reçu beaucoup et à qui j’espère avoir apporté tout autant. Le maître-mot, c’est l’excellence scientifique dans un cadre international et de diversité culturelle qui enrichit et épanouit l’esprit. Je remercie très grandement Inria de m’avoir permis de vivre et de travailler dans un tel environnement. Il est souvent arrivé que mes doctorants et collègues soient issus de plus de dix nationalités de tous les continents. Autant de regards différents sur le monde ; humainement et comme scientifique, je ne pouvais pas rêver mieux pour voir le monde en relief.

Vision par ordinateur : images 3D, effets spéciaux et post-production

En 1988, Rachid Deriche rejoint le nouveau centre Inria de Sophia Antipolis, où il axe ses travaux sur le domaine de la vision par ordinateur et ses applications en robotique. Double difficulté : pour observer leur environnement en 3D les robots sont équipés de deux ou plusieurs caméras; et ces caméras filment, donc produisent de longues séries d’images.

« Avec mes collègues de l’équipe-projet Robotvis, en particulier Olivier Faugeras, nous avons défriché plusieurs questions, raconte le chercheur. Par exemple, comment calibrer et/ou auto-calibrer une caméra ? Comment reconstituer une image 3D à partir de deux ou plusieurs images 2D ? Comment suivre et analyser le mouvement à partir d’une séquence d’images ? ».

Beaucoup de ces tâches sont naturelles pour l’œil humain. Mais les reproduire avec un ordinateur est bien plus difficile. Rachid Deriche s’y consacre avec passion, publie beaucoup, invente, avec ses collègues, le concept clé de « matrice fondamentale », qui contient toute l’information géométrique disponible et permet de mettre plus facilement en correspondance deux images 2D, de suivre des objets et d’auto-calibrer.

En 1997, il développe aussi un des tout premiers algorithmes de « mosaïcking», c’est-à-dire d’assemblage de vues en 2D d’une même scène sous différents angles pour créer sa représentation panoramique, processus utilisé aujourd’hui dans la plupart de nos smartphones. Cette innovation, ainsi que celles liées au développement de la 3D, a donné naissance en 1998 à la société Realviz (lire encadré) et à ses logiciels d’effets spéciaux pour l’industrie de production d’images numériques.

De Inria à Realviz, ou du réel au virtuel

Les travaux de Rachid Deriche et de ses collègues sur la vision par ordinateur ont bénéficié d’une vitrine mondiale avec des films comme Minority Report, Harry Potter ou Die Another Day. Beaucoup des objets virtuels ajoutés dans des scènes l’ont été avec les logiciels de la société Realviz, eux-mêmes créés à partir de la technologie de traitement d’image transférée d’Inria et de l’équipe Robotvis, dirigée par Olivier Faugeras.

Dix ans après sa création à Sophia Antipolis, Realviz, qui a compté jusqu’à plusieurs dizaines de collaborateurs, a été rachetée en 2008 par l’industriel américain Autodesk, leader mondial des logiciels et services de conception assistée par ordinateur.

Des images pour cartographier et explorer le cerveau

Nouveau virage, majeur celui-là, en l’an 2000 : le chercheur décide de se consacrer à la neuro-imagerie, au sein de l’équipe Odyssée. « Le cerveau, c’est fascinant, et malgré des avancées remarquables, c’est le continent inexploré de notre temps. »

Faire ce pari, c’est quitter une communauté scientifique où il jouit d’une renommée internationale, pour en intégrer une où il est inconnu, et où les systèmes d’acquisitions et la physique de la formation des images sont tout autres.

Mais Rachid Deriche a soif de nouveauté et de liberté.« Je me suis attaqué à un ensemble de nouveaux problèmes en neuro-imagerie pour créer des outils innovants. Ils permettent d’aider à mieux explorer et comprendre le cerveau via l’ensemble de ses connectivités structurelles et fonctionnelles. »

En 20 ans, le chercheur s’est fait un nom dans ce domaine. Au sein de l’équipe Athena, qu’il a créée puis dirigée jusqu’en 2022, et en collaboration avec plusieurs laboratoires et hôpitaux français et étrangers, il a signé de remarquables avancées en connectomique cérébrale.

 « L’idée que chaque aire cérébrale n’est spécialisée que dans une tâche spécifique a vécu. En réalité, plusieurs aires se mettent en réseau pour chaque tâche, et ces réseaux sont dynamiques et évoluent. D’où l’importance de développer des modèles, des algorithmes et des logiciels pour les reconstruire, les analyser et au-delà, étudier leur dynamique. »

Enrichir les outils IRM et la neurochirurgie

Pour reconstruire et analyser le réseau des connectivités structurelles et fonctionnelles, Rachid Deriche et ses collègues de l’équipe-projet Athena (Maureen Clerc, Théo Papadopoulo et Samuel Deslauriers-Gauthier) associent l’IRM de diffusion, l’IRM fonctionnelle, la MEG et l’EEG. Ces techniques produisent des signaux complexes et hétérogène à des résolutions spatiales et temporelles différentes. La difficulté, c’est de les acquérir rapidement, de les traiter et les analyser correctement et de les combiner au mieux pour améliorer les solutions recherchées.

Les travaux développés, en particulier en IRM de diffusion, ont été utilisés tant à des fins de recherche que de clinique et notamment transférés à la société Olea Médical, pour leurs outils de post-traitement avancé des images IRM. En révélant le réseau des connectivités aux neurochirurgiens, ces techniques permettent d’accroître la précision des interventions chirurgicales pour le traitement ou l’ablation complète de tumeurs cérébrales, comme l’ont démontré le Pr Maxime Descoteaux, son ancien doctorant, et le neurochirurgien David Fortin à l’université et au CHU de Sherbrooke (Canada).

Prix et distinctions

  • 2013 : Prix de la Fondation EADS (Informatique) – Grand Prix de l’Académie des sciences.
  • 2014 : Docteur honoris causa de l’Université de Sherbrooke (Canada).
  • 2016 : Lauréat d’une bourse ERC Advanced Grant délivrée par le Conseil européen de la Recherche.
  • 2019 : Titulaire de la Chaire 3IA Université Côte d’Azur sur la connectomique cérébrale computationnelle
  • 2023 : Directeur de Recherche Émérite, équipe Cronos, Centre Inria Université Côte d’Azur.