Pierre Alliez : un pionnier dans le traitement numérique de la géométrie

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Mis à jour le 26/03/2020
Pierre Alliez est un pionnier : lorsqu’il a commencé ses recherches - après un stage de master à Inria avec Olivier Devillers et une thèse chez France Telecom R&D et à l’école Telecom Paris Tech - la thématique sur laquelle il travaillait ne portait pas encore de nom. Aujourd’hui, alors que le traitement numérique de la géométrie est reconnu en tant que domaine scientifique, il propose IRON (Robust Geometry Processing ), un projet qui lui a valu la prestigieuse bourse ERC 2010 dans la catégorie "jeunes chercheurs". Rencontre avec le chercheur.

Pendant mon postdoc à l'university of Southern California où j’ai travaillé avec Mathieu Desbrun, professeur au California Institute of Technology,  j’ai commencé à renforcer et à identifier cet axe qui n’était pas un domaine à part entière. À l’époque il s’agissait soit d’informatique graphique soit de géométrie algorithmique. Mais à partir de 2003, une communauté a commencé à se construire autour du traitement numérique de la géométrie. Quand j’ai postulé ensuite à Inria Sophia Antipolis - Méditerranée fin 2001, Jean-Daniel Boissonnat, responsable de l’équipe Prisme, a accueilli mon projet de recherche avec enthousiasme. Cette équipe est devenue Geometrica. Elle a pour but de développer une approche axiomatique du calcul géométrique. C’est à Inria que se situe l’avant-garde de l’informatique. Lorsque j’ai présenté mon dossier pour la bourse ERC, et ce sans aucune obligation de résultat de leur part, l’institut m’a témoigné le même enthousiasme et la même confiance, ce qui est plutôt agréable, surtout lorsqu’on apprécie de travailler dans l’autonomie comme c’est mon cas.

La numérisation de la géométrie, selon Pierre Alliez et Mathieu Desbrun, consiste à concevoir l’analogue du traitement du signal pour des formes 3D. Pour ces deux chercheurs, ce serait la suite logique de la numérisation du son dans les années soixante-dix, quatre-vingts, puis de l’image et enfin de la vidéo dans les années 2000. Le traitement numérique de la géométrie a cependant pour corrélation le traitement de données de plus en plus hétérogènes et incertaines. « Le premier enjeu de cette recherche tient au fait que nous sommes face à un paradoxe technologique », déclare le chercheur, « nous pensions que les données allaient suivre l’évolution des capteurs mais ce n’est pas le cas. Elles demandent de plus en plus de traitement, n’ont jamais été aussi imparfaites qu’aujourd’hui du fait de la diversification des modes d’acquisition, et du changement des usages (superrésolution, et nouveaux paradigmes d’acquisition comme les données communautaires type flicker) ».

Un gain de temps de trois semaines de traitement de données avant simulation.

La solution IRON propose des algorithmes robustes, tolérants, capables de résister à l’imperfection et à la diversité de n’importe quelle sorte de données, et ce en rupture avec la méthodologie courante qui consiste à réparer, convertir ou faire le tri dans les données avant traitement. « C’est là que se situe le verrou technologique lié à IRON, notre enjeu numéro 2 ». L’autre enjeu est d’ordre sociétal, un concept que Pierre Alliez nomme "nouvelle frontière" et auquel il tient particulièrement. « Après l’ère du sur-mesure réservé autrefois à une élite puis celle de la fabrication de masse, je suis convaincu que nous sommes en train de passer à l’ère du sur-mesure de masse. Ce projet ne va pas changer la société mais va peut-être y contribuer ». Ces algorithmes "costauds" vont devoir faire le poids face au traitement numérique de la géométrie qui aura des applications multiples. Notamment pour les ingénieurs, automobiles ou aéronautiques entre autres, qui pratiquent l’ingénierie numérique et qui vont gagner en efficacité.

L'ingénierie numérique substitue à la fois le modèle numérique au prototype physique, et le calcul à l'expérience. Ainsi, l'ingénieur accélère le cycle de conception en "essayant le réel", pour mieux concevoir et anticiper. Toutefois, et bien que la simulation soit utilisée en routine, la conversion d’un modèle CAO final (du point de vue de la production) en un modèle prêt pour la simulation nécessite trois semaines de traitement interactif de type essai-erreur pour convertir, ce qui freine considérablement le vrai potentiel de l’ingénierie numérique. La mission initiale de l’ingénierie numérique était de faire un aller-retour entre modélisation et simulation. Pour exemple, les résultats de la simulation - qui prend 5000 heures de calcul parallèle mais 1 heure d’horloge murale - suggèrent de soulever un capot de 5 cm, et donc de revenir au dessin, mais comme chaque retour à la simulation prend trois semaines, la conception s’en trouve ralentie.

Concrètement, IRON signifie pour les ingénieurs un gain de temps de trois semaines de traitement de données avant simulation. C’est le premier pas du sur-mesure de masse qui va également s’appliquer à la médecine, à la simulation (pour la ville durable, la géologie) et à l’architecture dite forme libre. C’est aussi la promesse liée à l’ERC de Pierre Alliez qui se donne cinq ans pour y parvenir.