Olivier Faugeras : Nervi, modéliser la perception visuelle

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Mis à jour le 15/10/2020
En droite ligne avec les recherches menées avec son équipe Odyssée, Olivier Faugeras a lancé un projet d’envergure, baptisé Nervi, dont l’ambition est de construire une théorie mathématique du fonctionnement de la perception visuelle humaine et de la vérifier avec les outils classiques d’imagerie du cerveau.

Quoi de plus magique que la vue ? Principal outil de perception de notre monde environnant, de prime abord si naturel. En réalité, si sophistiqué. À tel point que, après une trentaine d’années de recherche, aucun modèle de perception visuelle n’est satisfaisant : ni ceux des mathématiciens et informaticiens, spécialistes du traitement d’images, de la vision par ordinateur et de la robotique qui ne fonctionnent correctement que dans des environnements très contrôlés, ni ceux des biologistes et neurophysiologistes, pourtant fondateurs, dès les années soixante-dix, de la modélisation du comportement des neurones. Ce constat est au cœur des thématiques du projet Odyssée, lancé par Olivier Faugeras en 2002. La subvention de deux millions d’euros que lui a accordée le Conseil européen de la recherche pour son projet Nervi lui permettra de développer, pendant cinq ans, un modèle formel complet de perception visuelle avec la quinzaine de doctorants et de postdoctorants qu’il va recruter. Même si le cœur du projet est avant tout théorique, à terme des retombées sont envisageables. Dans le domaine médical, ces travaux pourraient permettre de pallier certaines déficiences visuelles comme des altérations de la perception des contours, des textures ou des couleurs. Côté technologies, cela pourrait aboutir à de nouveaux algorithmes de traitement d’images, plus robustes et adaptés à des environnements réels. Quels sont les secrets de fabrication de ce futur modèle ? « Pour qu’il soit à la hauteur de nos ambitions, répond Olivier Faugeras, il devra être capable de simuler le fonctionnement de notre système visuel à plusieurs échelles d’espace et de temps. » 

Le modèle que nous allons tenter de développer devrait ouvrir de nouveaux horizons et créer des passerelles entre l’étude de la vision biologique – terrain de recherche des neurophysiologistes – et celle de la vision artificielle – domaine privilégié des mathématiciens et informaticiens.

Les domaines simulés s’étendront de l’échelle microscopique, celle des neurones individuels, à l’échelle macroscopique, celle des réseaux corticaux, en passant par les colonnes corticales, groupes de quelques dizaines à quelques milliards de neurones au comportement similaire. À l’échelle temporelle, cela revient à simuler de la milliseconde, caractéristique de l’influx nerveux, à des dizaines d’années. « Nous nous appuierons sur deux piliers mathématiques développés depuis cinq ans dans le projet Odyssée , précise Olivier Faugeras. D’une part, la théorie des bifurcations, théorie en pleine évolution à laquelle nous contribuerons pour modéliser la variété considérable d’influx nerveux des neurones individuels. D’autre part, la théorie du champ moyen, inspirée de la physique statistique, pour modéliser colonnes et réseaux corticaux. »  

Du conceptuel aux mesures expérimentales  

L’équipe est l’une des rares à maîtriser ces outils mathématiques délicats qui permettent de “résumer” l’activité neuronale collective de manière correcte sur le plan conceptuel. Cette démarche théorique sera confrontée à des mesures expérimentales comme l’activité des colonnes corticales de primates confrontés à des séquences d’images naturelles, accessible par imagerie optique. De même, l’activité électrique des réseaux corticaux est accessible par des techniques d’imagerie du cerveau comme l’IRM ou la magnéto-encéphalographie. On attend de voir !

« C ’est une communauté d’intérêts servie par une grande intelligence de communication. »

Guillaume Masson “Dynamique de la perception visuelle et de l’action” à l’Institut de neurosciences cognitives de la Méditerranée (Marseille). Il travaille avec l’équipe d’Olivier Faugeras depuis cinq ans.

Le dialogue s’est naturellement noué avec cette équipe, et une discussion très intuitive s’est développée entre nous au fil des années. Nous partageons les mêmes problématiques algorithmiques avec des compétences complémentaires : en perception visuelle biologique, neuro-imagerie et neurosciences dans mon équipe, en modélisation de la vision artificielle dans celle d’Olivier Faugeras. Ainsi, les solutions qu’il a développées en traitement d’images correspondent aux principes computationnels que nous avons identifiés dans le cortex. Plus concrètement, nous coencadrons des thèses et nous menons des enseignements en commun. Plusieurs de ses étudiants ont même mené leur thèse en biologie dans mon équipe. Nous avons rédigé des articles en commun et nous participons à des projets nationaux et européens comme Facets.