Nicholas Ayache : Imagerie médicale et informatique - le patient numérique personnalisé

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Mis à jour le 24/02/2021
Nicholas Ayache est lauréat 2011 d’une bourse ERC de 2,5 millions d’euros destinée aux chercheurs confirmés. Engagé depuis de nombreuses années dans la recherche sur l’analyse et la simulation des images médicales, il va pouvoir aujourd’hui relever un défi de taille : concevoir des modèles numériques d’organes et de pathologies permettant d’intégrer les images médicales d’un patient et de simuler l’évolution de sa pathologie et la pertinence des traitements avant leur mise en œuvre.
Nicholas Ayache

Quel est l’objectif de la recherche que vous avez proposée à l’ERC ?

L’imagerie médicale a fait des progrès exceptionnels au cours des trente dernières années. Elle permet aujourd’hui de capturer les propriétés structurelles et fonctionnelles des tissus et organes à diverses échelles : macroscopique au niveau des organes, microscopique au niveau des cellules, et même nanoscopique à l’échelle des molécules. La recherche actuelle en imagerie vise à aider le clinicien à analyser cette quantité toujours croissante d’informations en intégrant la totalité de ces données dans des images 3D multimodales (obtenues par des techniques différentes) et multiéchelles.

Le projet ERC MedYMA entend aller plus loin encore en intégrant également la dimension temporelle afin de prendre en compte les propriétés dynamiques d’un organe, par exemple le mouvement cardiaque, la dynamique d’une pathologie, comme la croissance d’une tumeur cancéreuse ou l’atrophie de régions cérébrales dans la maladie d’Alzheimer. Dans le premier cas, l’objectif est d’être capable de distinguer le plus tôt et le plus précisément possible s’il existe une anomalie de mouvement. Dans les deux autres cas, on cherche à quantifier la progression de la pathologie observée entre deux examens.

Il s’agit aussi de permettre aux personnels médicaux d’identifier plus rapidement l’efficacité ou l'absence d'efficacité d’un traitement pour en changer rapidement le cas échéant, voire d’estimer à l’avance, grâce à la simulation, celui qui sera le mieux adapté à la pathologie du patient.

Quelle est l’originalité du projet ? Le défi scientifique ?

Pour intégrer toutes ces données, nous proposons d’ajuster des modèles biophysiques afin de les rendre spécifiques à chaque patient. Ces modèles génériques sont ainsi personnalisés grâce aux images médicales. Ils sont construits à partir des propriétés physiques et biologiques des organes ou tissus, en tenant compte de la variabilité statistique existant entre les individus. Un point original du projet ERC MedYMA est la construction d’images médicales de synthèse à partir de ces modèles biophysiques. Ces images synthétiques permettront de valider les algorithmes d’analyse mis au point pendant le projet, mais aussi de concevoir de nouveaux algorithmes d’analyse s’appuyant sur des méthodes modernes d’apprentissage informatique. Ces images synthétiques devront donc être le plus réalistes possible : c’est un des grands défis scientifiques de ce projet !

L’analyse informatique des images médicales, en exploitant des modèles biophysiques et statistiques du vivant, permet de mieux interpréter les examens médicaux du patient, simuler l’évolution d’une pathologie et prédire l’efficacité d’une thérapie.

L’équipe Asclepios a déjà développé en partenariat avec les équipes Inria Sisyphe, Macs et Reo un premier modèle biophysique du cœur en s’appuyant sur la géométrie de l’organe et sur ses propriétés électrophysiologiques et mécaniques. Le projet ERC MedYMA permettra d’améliorer ce modèle de cœur virtuel personnalisé afin d’aider à quantifier le mouvement normal et détecter les anomalies (trouble du rythme, insuffisance cardiaque, etc.). Il pourra également être utilisé pour simuler une thérapie  (ablation radiofréquence, implantation d’un pacemaker , etc.) et en prédire les bénéfices attendus pour le patient. En effet aujourd’hui environ 30% des patients appareillés ne bénéficient pas réellement de leur pacemaker. En oncologie - un autre de nos domaines d’application avec la neurologie et la cardiologie - on espère que les modèles permettront d’affiner la cible de la radiothérapie ou de la chirurgie en prenant mieux en compte l’infiltration non visible de la tumeur, par la simulation.

Comment cette bourse va-t-elle vous aider dans cette entreprise ?

La bourse ERC permet de planifier sur une période plus longue que d’ordinaire et donc de réaliser une recherche plus fondamentale , avec très peu de contraintes administratives. Elle financera principalement des doctorants, ainsi que quelques postdoctorants et ingénieurs car il s’agit surtout de recherche en algorithmique et en mathématiques appliquées avec un peu d’ingénierie logicielle.

Ce travail sera effectué au sein de l’équipe Asclépios dont l’expertise - les chercheurs Hervé Delingette, Xavier Pennec, Maxime Sermesant sont impliqués dans le projet - contribuera au succès de l’entreprise.

La bourse facilitera également le travail avec nos partenaires académiques et cliniques en France, mais aussi en Europe et aux États-Unis, et en particulier avec les trois nouveaux instituts hospitalo-universitaires (IHU) français avec lesquels nous collaborons pour la modélisation du cœur (Bordeaux), du cerveau (Pitié-Salpêtrière à Paris) et de l’appareil digestif (Strasbourg). Des partenaires industriels seront également associés tout au long du projet. C’est un élément indispensable pour assurer un transfert effectif des innovations.

Créer des patients virtuels à la demande

La création d’un modèle générique de patient au sein de MedYMA devrait constituer une rupture dans les capacités d’interprétation automatique d’images médicales et dans les pratiques cliniques. Ces modèles, construits sur la base des propriétés biophysiques des organes et des connaissances sur les pathologies, permettent de créer des cerveaux, des foies et des cœurs virtuels et de simuler la survenue et l’évolution de pathologies comme des tumeurs, des arythmies, des atrophies, etc.

Ces images de synthèse pourront être générées à volonté et en très grand nombre pour établir des bases de données plus grandes et plus variées que les banques de données patients le plus souvent incomplètes et difficilement accessibles. Par exemple, il est possible de faire croître des tumeurs en modifiant les paramètres de prolifération et d’infiltration afin d’obtenir une gamme très importante de cas intermédiaires.

De telles bases sont intéressantes pour tester la fiabilité des logiciels d’analyse d’images et d’aide au diagnostic. Elles le sont aussi pour entraîner les logiciels conçus pour affiner leur capacité de détection par apprentissage sur de nombreux cas. Une autre application envisagée consiste à générer des images de synthèse couvrant le plus grand nombre de cas possible pour animer une version médicale de simulateur de vol pour les pilotes. Les praticiens pourraient ainsi être confrontés, au cours de leur formation, à des situations extrêmes, très variées ou très rares qui leur assureraient une expertise aussi large que possible.