Intelligence artificielle

LaborIA : où en est le laboratoire dédié à l’intelligence artificielle créé par le ministère du Travail et Inria ?

Date:
Mis à jour le 15/02/2024
Deux ans après son lancement par le ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion et Inria, le LaborIA dévoile ses premiers résultats et entame une nouvelle phase de son développement. Point d’étape avec Yann Ferguson, son directeur scientifique.
Yann Ferguson
© Inria / Photo B. Fourrier

Comment est né le LaborIA ?

Deux grands moteurs historiques ont permis la création du LaborIA. Le premier et plus ancien correspond à une recommandation du rapport Villani de mars 2018, qui sur la partie "travail" évoque la nécessité de mettre en place ce qu’il appelle une « tête chercheuse pérenne », à la fois de recherche et d’expérimentation, pour mieux appréhender la transformation du travail par l’intelligence artificielle (IA) face à un marché pas forcément préparé. Le second, en 2020, est le partenariat mondial pour l’IA dont Inria est acteur majeur, et pour lequel la France anime, entre autres, un groupe de réflexion dédié au futur du travail. Ce groupe de travail évoque ainsi la nécessité de mettre en place des Living Labs nationaux autour de la question du travail, afin de favoriser les expérimentations et améliorer la connaissance par la pratique.

C’est ainsi qu’en novembre 2021, Elisabeth Borne, alors ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, signait une convention avec Inria pour créer le "LaborIA", un laboratoire dédié à l’intelligence artificielle et ses effets sur le travail, l’emploi, les compétences et le dialogue social.

Comment est organisé le LaborIA ?

Ce laboratoire, rattaché à la mission IA d'Inria (pilotée par Jean-Michel Lefèvre), est un lieu de recherche et de réflexion partagé entre des acteurs de tous horizons, autour d’un sujet : le travail transformé par l’IA.

C’est un sujet très technique, mais à impact social. Notre objectif, c’est de comprendre comment l’intelligence artificielle permet de potentialiser ou d’altérer le travail comme lieu d’acquisition de la dignité matérielle, c’est-à-dire un revenu décent, et spirituelle, c’est-à-dire une activité qui fait sens.

Ce travail ambitieux, nous le faisons en étroite collaboration avec le ministère du Travail. Cela n’est pas de la recherche dédiée à alimenter la réflexion académique, mais en appui d’un besoin de politiques publiques. Nous construisons l’agenda de la recherche et nous sélectionnons les terrains de recherche ensemble. Nous (les chercheurs) sommes porteurs de la connaissance et de la veille sur le sujet, donc nous sommes force de proposition sur les sujets, nous amenons la première orientation, et ensuite nous construisons avec toutes les parties prenantes.

L’idée d’intégrer des acteurs différents dans les projets, c’est de s’assurer que les enjeux identifiés ont une vraie acuité pour les personnes qui sont à plein temps dans ce milieu, afin de produire des réponses vraiment utiles.

Quels sont, justement, les enjeux identifiés ?

Pour la feuille de route pour les années à venir, nous n’avons pas véritablement un domaine dont nous pouvons dire qu’il est plus transformé qu’un autre par l’intelligence artificielle. Nous nous rendons compte que nous sommes sur une exposition très large. Nous avons donc décidé de poser notre regard sur deux secteurs : la logistique et la production, d’une part, et les industries culturelles et créatives, d’une autre.

Nous allons les regarder individuellement durant ces trois prochaines années, mais aussi les mettre en miroir, afin de voir les similitudes et différences entre ces deux secteurs. Notre premier axe de travail sera d’avoir un regard "compétences et formation" et un regard "conditions de travail".

L’élément différenciant que nous avons par rapport aux grandes études de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), c’est que nous travaillons énormément autour de cette notion de travail "réel". C’est-à-dire que les grandes études font des estimations d’emplois exposés et parfois détruits en construisant un indice d’exposition créé sur un état de l’art de la technologie face à la nomenclature de compétences d’un métier. Tout cela est assez théorique, en fait.

Ensuite, notre second axe de travail sera de s’intéresser à des sujets transverses. Nous allons par exemple nous interroger sur les IA intégrées dans les processus de recrutements, leur impact sur l’activité de recrutement, avec notamment cette problématique des potentiels biais connus de l’intelligence artificielle. Cet axe a vocation à être en capacité de réagir à des sollicitations d’organisations publiques ou privées, autour de leurs problématiques IA. Cela va nous permet de mettre à l’épreuve l’opérationnalité des résultats qu’on a développés, et en retour les situations de terrain vont nous aider à mieux concevoir nos sorties de recherche.

Enfin, le troisième axe de notre feuille de route se concentrera sur la création et la mise en lumière d’outils (fiches méthodologiques, fiches thématiques, proposition d’ateliers, capsules vidéo, etc.), basés sur les études réalisées durant les deux premières années de vie du LaborIA. L’idée étant d’offrir la possibilité à tout un chacun de profiter de ressources utiles.

Quels sont les résultats des deux premières années d’activité du LaborIA ?

Les deux premières années de lancement du LaborIA, baptisées Explorer et opérées par Matrice, ont été consacrées à l’étude et l’expérimentation.

Nous avons ainsi publié une première étude par questionnaire auprès de 250 dirigeants de PME, que nous avons interrogés autour de la qualité de vie au travail avec l’IA. Sur ces 250 dirigeants, 50 ont répondu à partir d’une expérience déjà engagée avec l’IA, et les 200 autres sur leur propre représentation de ce que pourrait être la qualité de vie avec l’IA, mais sans expérience. Cela nous a permis de mettre en avant une chose : quand on a déjà vécu l’expérience de l’intelligence artificielle, les questions que l'on se pose sont bien différentes de celles lorsqu'on n'en a a jamais eu. Dans ce dernier cas, les personnes interrogées se posent généralement la question du travail déshumanisé, alors que les autres, déjà utilisateurs, se posent la question de l’autonomie et du savoir-faire.

Lorsqu’on a essayé, on est plus factuel, alors que lorsqu’on n’a pas essayé, on est plus émotionnel. Les fantasmes ne sont pas ajustés à ce qui se passe réellement.

Nous avons également réalisé deux niveaux d’étude autour de la notion de cas d’usage. Nous avons identifié une diversité de cas d’usage, comme par exemple les systèmes de calcul de charges, ou les systèmes de maintenance de moteurs d’avion, puis nous les avons étudiés en interrogeant les utilisateurs pour faire une photographie à l’instant t de la situation sociale. Une autre approche consistait à les étudier sur un an. Cela nous a permis d'observer l’évolution des comportements des utilisateurs face à l’IA, du refus dans un premier temps, à l’acceptation dans un second.

Nous avons aussi, durant ces deux dernières années, mis en place des séminaires d’embarquements adressés à des communautés spécifiques qui permettaient de maturer leurs projets sur l’IA, et notamment sur la dimension sociale de l’IA.

Enfin, nous avons créé un Comex (comité exécutif) élargi aux partenaires sociaux, pour écouter leur positionnement sur le sujet et leur présenter les résultats de nos études. L’idée est de créer un vrai dialogue autour de cette transformation technologique.