Visualisation de données

La visualisation comme vous ne l’avez jamais vue

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Mis à jour le 26/10/2022
Il y a vingt ans, la visualisation de données était une recherche à risque. Aujourd’hui, elle touche de nombreux domaines de la société. Une croissance fulgurante à laquelle Jean-Daniel Fekete, directeur de recherche Inria spécialiste des interactions humain-machine et responsable de l’équipe Aviz commune entre Inria, l’INS2I du CNRS et l’Université Paris-Saclay, a grandement participé. Il revient sur l’essor de ce champ de recherche interdisciplinaire dont la France est l’un des leaders mondiaux.
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Premiers pas historiques de la visualisation

Mettre en image l’invisible, c’est possible grâce à la visualisation ! Ce domaine de recherche facilite la compréhension des données en les représentant sous forme visuelle. Du suivi de l’évolution de la Covid-19 aux projections en temps réel des élections américaines, la visualisation a démocratisé ses outils en un temps record, au point d’intégrer pleinement notre quotidien.

En effet, cette discipline a une histoire courte mais intense. Elle est née en 1990, au moment de la création de la conférence annuelle IEEE* Visualization (Institute of Electrical and Electronics Engineers). À l’origine, elle se consacrait uniquement à la représentation 3D d’objets réels et de leur environnement, comme par exemple un avion et l’écoulement des fluides qui l’entourent. Mais elle s’est depuis fortement enrichie et se situe désormais à l’interface entre l’informatique graphique, les statistiques, la cartographie et l’interaction humain-machine.

Des recherches pionnières

Qui est Jean-Daniel Fekete ?

Jean-Daniel Fekete est responsable scientifique de l’équipe-projet Aviz d’Inria depuis 2006. Directeur de recherche en informatique, il est spécialisé dans l’exploration et la compréhension des données par l’intermédiaire d’outils de visualisation interactive. Au cours de sa carrière, il a occupé plusieurs postes dans des sociétés professionnelles, des comités d'attribution de prix ou encore des comités de programmes scientifiques. En 2014, il a supervisé et coordonné l'ensemble de la conférence IEEE VIS en tant que General Chair.

Jusqu’en 2002, la France était invisible sur le plan international, ne disposant à l’époque que de rares équipes spécialisées dans les graphiques 3D. Tout restait donc encore à faire lorsque Jean-Daniel Fekete, recruté à Inria Futurs, a rejoint l’équipe-projet InSitu centrée sur les interactions humain-machine. « Les recherches que j’ai menées à l’époque étaient originales, pas du tout dans l’air du temps. Inria m’a laissé suivre mes intuitions et impressions scientifiques qui s’avèrent payantes, dans une discipline centrale, et même standard aujourd’hui », témoigne le chercheur.

Au cours des années 2000, il crée une boîte à outils (Infovis Toolkit) pour la conception et le développement d’outils de visualisation. Il élargit également le domaine de la représentation visuelle des réseaux, limité jusque là aux "nœuds et liens", en mettant en évidence de nouvelles façons de les afficher (matrices d’adjacences, hybrides, etc.) Ce pan de la recherche s’applique aujourd’hui à tous types de réseaux, aussi bien à l’étude des réseaux sociaux qu’aux réseaux de neurones.

Montée en puissance de l’équipe Aviz et reconnaissance internationale

En 2006, Jean-Daniel Fekete crée l’équipe-projet Aviz (Analysis and VisualiZation), commune entre le centre de recherche Inria Saclay - Île-de-France et le LRI (laboratoire de recherche en informatique de l'INS2I). Elle collabore avec Microsoft et Google, publie énormément dans les conférences prestigieuses du domaine. Ses anciens étudiants s’installent à travers le monde tantôt au service de la recherche, tantôt à celui de l’industrie. En résulte une rapide montée en puissance de l’équipe. « En 2014, nous avons organisé à Paris la conférence annuelle d’IEEE VIS avec un record de participation. C’était la première fois qu’elle se tenait en dehors des États-Unis en presque 25 ans, et cela a marqué le couronnement de notre visibilité à l’international », se rappelle Jean-Daniel Fekete.

Son équipe figure alors parmi les plus citées au monde en lien avec la conférence, plaçant ainsi Inria et la France sur le devant de la scène. Cette reconnaissance par la communauté atteint son apogée en 2020 pour Jean-Daniel Fekete : il reçoit alors le titre honorifique du Technical Achievement Award décerné par le Visualization and Graphics Technical Commitee (VGTC) de l’IEEE récompensant sa carrière.  Il est alors intronisé à la Visualization Academy de l’IEEE VGCT.

Cinq prix prestigeux pour Jean-Daniel Fekete

  • IEEE VGTC Visualization Technical Award (2020), qui récompense des personnalités dont les recherches ont grandement contribué à la communauté scientifique spécialisée dans la visualisation ;
  • IEEE VGTC Visualization Academy (2020), distinction la plus prestigieuse dans ce domaine ;
  • ACM SIGCHI Academy Award (Association for Computing Machinery Special Interest Group on Computer-Human Interaction) (2020), prix décerné pour son action dans le domaine de l’interaction humain-machine ;
  • AMiner Most Influential Scholar Award (2007~2017), qui récompense les chercheurs les plus cités au cours des dix dernières années dans le domaine de l’intelligence artificielle ;
  • Computing Reviews' Notable Books and Articles 2013 pour son article “Visual Analytics Infrastructures: From Data Management to Exploration”.

De nouvelles visions pour l’aide à la décision

« Désormais, nous devons rendre les systèmes d’analyse de données plus faciles à manier pour des raisons scientifiques, démocratiques et sociales, souligne le chercheur. La visualisation sert à l’appréhension simplifiée d’importantes quantités de données en vue de mieux comprendre le monde et prendre de meilleures décisions. » En ce sens, la recherche se concentre notamment sur les utilisateurs. Qui va utiliser et interpréter ces données ? À qui se destinent-elles ? Comprendre cet acteur est essentiel à la visualisation interactive, car il sera amené à agir sur le contenu afin d’en extraire des enseignements.

Illustration - Réexamen des matrices de Bertin : New Interactions for Crafting Tabular Visualizations.
Charles Perin, Pierre Dragicevic and Jean-Daniel Fekete
Nouvelles interactions pour l'élaboration de visualisations tabulaires

Par ailleurs, l’un des enjeux de la visualisation n’est plus d’observer des données telles qu’elles sont, mais d’y appliquer de nouvelles analyses. Une démarche au cœur de grandes ambitions : au-delà de ce qui se passe maintenant, il faut pouvoir prédire le déroulement à venir. Pourquoi ? Principalement afin d’aider la prise de décision d’ingénieurs ou encore de décideurs politiques. Comment ? Grâce à des projections visuelles du comportement d’un système industriel, du climat futur, de l’impact d’une pandémie, etc.

Enfin, la visualisation n’a jamais été aussi transverse. Qu’elle s’associe à l’astronomie, à la médecine ou encore à l’histoire, ses outils contribuent à la compréhension de nombreuses disciplines. Et Jean-Daniel Fekete de préciser : « Un même outil de visualisation des réseaux peut servir à représenter des migrations pour un historien, ainsi que des connexions cérébrales aux yeux d’un neurobiologiste. C’est alors l’application spécialisée qui donne le sens aux images que l’on obtient. » 

Inria Futurs : au lancement de pépites originales devenues incontournables

Picto concept rouge

En 2002, Inria crée Futurs, une nouvelle unité de recherche multisite (Lille, Saclay, Bordeaux) visant à déployer l’institut sur le territoire français. Sa direction est confiée à Claude Puech, alors professeur de l'université Joseph-Fourier à Grenoble. Celui-ci a ainsi la lourde tâche d’implanter des centres Inria dans de nouvelles régions. Une construction « expérimentale » qui encourage le lancement de projets novateurs. « La direction – et tout spécialement Gilles Kahn, directeur scientifique puis *PDG d’Inria - était très ouverte à l’idée de faire entrer dans la maison Inria des sujets nouveaux. J’ai pu proposer des créations de projets marginaux pour l’époque et m’éloigner parfois de ce qui était dominant à l’institut », se souvient le chercheur. La prise de risque est alors encouragée avec des recherches qui sortent des sentiers battus comme l’interaction humain-machine, la simulation en chirurgie et aussi surprenant que cela puisse paraître aujourd’hui, l’intelligence artificielle. Un état d’esprit pionnier qui perdure et qui s’ancre comme un caractère essentiel de la recherche Inria en compagnie de l’excellence scientifique.

Pour en savoir plus sur la visualisation et l’interaction humain-machine