Prix Inria

Le jumeau numérique du cœur, une révolution pour les patients

Date:
Mis à jour le 05/02/2024
Associer jumeau numérique et imagerie médicale pour fournir aux chirurgiens cardiaques une aide à la décision clinique : c’est le résultat majeur des recherches menées par l’équipe Cardiologie numérique personnalisée. Grâce à elle, le taux de succès des interventions préventives pour traiter certaines arythmies cardiaques a augmenté de 50%. Une réussite aujourd’hui récompensée par le Prix de l’innovation Inria – Académie des sciences – Dassault systèmes.
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Un premier modèle numérique du cœur

À ce jour, près de 6000 patients dans le monde atteints d’arythmie cardiaque ont pu être opérés en deux heures au lieu de cinq en moyenne, avec un taux de réussite amélioré de 50% ! Ce progrès considérable est à porter au crédit de l’équipe Cardiologie numérique personnalisée, composée de trois chercheurs Inria, dont l’un devenu entrepreneur, et de deux médecins (voir encadré).

Son défi initial : mettre au point un modèle numérique du cœur. Une belle histoire qui débute en 1996 : « Nous étions très loin alors de l’aide à la décision médicale en chirurgie. L’objectif était de calculer plus précisément la quantité de sang éjectée du cœur à chaque battement », se souvient Hervé Delingette, chercheur Inria et coordinateur d’une action de recherche sur cette thématique. Depuis cette date, ces premiers travaux ont été continuellement enrichis, notamment en modélisant la biomécanique et le fonctionnement électrique du cœur puis en couplant ces deux phénomènes physiques. D’autres aspects du modèle ont été ajoutés par la suite comme la prise en compte des écoulements sanguins, ainsi que l’alimentation en oxygène et en énergie (ATP, adénosine triphosphate) du muscle cardiaque.

Du modèle au jumeau numérique

Le projet change de dimension en 2008, quand les chercheurs décident d’intégrer à ce modèle de cœur "sain" des pathologies comme l’arythmie ou l’insuffisance cardiaque. L’idée est d’utiliser ce modèle comme aide à la décision pour plusieurs applications cliniques, en particulier le guidage des interventions électrophysiologiques associées aux troubles du rythme cardiaque, dont la fibrillation ventriculaire, responsable de 40 000 morts subites par an en France. « Ce type d’opération peut demander plusieurs heures d’exploration quasi en aveugle avec un cathéter pour localiser les zones impliquées dans la pathologie, précise Hervé Delingette, avant que le cardiologue puisse cautériser les tissus pathologiques. »

Le développement de cette nouvelle ambition résulte de l’interaction avec deux médecins hospitaliers et chercheurs bordelais (voir encadré) qui viennent alors de rejoindre l’équipe.

Découvrir les lauréats de l'édition 2023 !

Fournir au chirurgien une aide à la décision clinique

L’objectif de ces médecins ? Enrichir le modèle Inria de données propres à chaque patient (électrocardiogramme, imagerie médicale…), pour obtenir un jumeau numérique, sorte de copie informatique du cœur à opérer. Affiché sur grand écran face au chirurgien, il indiquera les zones malades et confirmera en temps réel, après chaque cautérisation, que le geste a été efficace.

Il faudra près de dix ans pour atteindre ce but, par étapes successives : fusionner les données du patient avec le modèle du cœur, automatiser cette fusion pour pouvoir traiter des milliers de malades, évaluer finement des paramètres décisifs comme la conduction électrique du cœur, améliorer encore la modélisation grâce à l’intelligence artificielle…

Une startup pour industrialiser et vendre le jumeau numérique

L’étape la plus marquante ? « Pour moi, le jalon majeur de notre projet reste la création en 2017 de la startup inHEART, chargée d’industrialiser et de vendre notre technologie, estime Hervé Delingette. C’était l’aboutissement d’années d’efforts, la preuve que les recherches académique et clinique étaient complémentaires et donnaient naissance à des avancées médicales. »

L’attribution du prix Inria représente une reconnaissance de taille pour ce projet hors norme, mené sur plus de 25 ans : « À partir d’un premier modèle très simple, nous sommes arrivés à une solution qui peut changer la vie de milliers de malades. La boucle est bouclée et ce prix Inria constitue une immense satisfaction pour nous. »

À partir d’un premier modèle très simple, nous sommes arrivés à une solution qui peut changer la vie de milliers de malades. La boucle est bouclée et ce prix Inria constitue une immense satisfaction pour nous. 

Les essais in silico, nouveau cap pour le cœur numérique

Aujourd’hui, la startup inHEART compte pas moins de 50 centres hospitaliers clients en Europe et aux États-Unis. Et l’aventure ne s’arrête pas là : depuis plusieurs années, les recherches de l’équipe Cardiologie numérique personnalisée s’orientent aussi vers la planification in silico (sur ordinateur) d’autres interventions sur de "vrais" patients. « Prenons l’exemple de la pose de stimulateurs cardiaques ou pacemakers, illustre Hervé Delingette. Il faut décider si elle est réellement bénéfique pour le patient et déterminer l’emplacement d’implantation et les réglages optimaux. Le jumeau numérique du patient aidera les cliniciens à faire ces choix. » Cette "petite" équipe nous réserve donc sans doute d’autres grands résultats…

Qui sont les membres de l’équipe ?

L’équipe Cardiologie numérique personnalisée comprend deux chercheurs du Centre Inria d'Université Côte d'Azur, un ancien chercheur Inria devenu entrepreneur et deux médecins hospitaliers et chercheurs. Deux de ses membres sont basés à Sophia Antipolis près de Nice, les trois autres à Bordeaux ; un relatif éloignement qui n’a jamais nui à ses travaux.

Ses cinq membres :

  • Hervé Delingette, directeur de recherche Inria dans l’équipe-projet Epione, est un spécialiste renommé en imagerie médicale, physiologie computationnelle et apprentissage automatique. Il a cofondé deux startup, Quantificare et Therapixel, et transféré des résultats vers plus d’une dizaine d’entreprises biomédicales dont Philips, Siemens, etc.
  • Maxime Sermesant, directeur de recherche Inria dans l’équipe-projet Epione, est le coordinateur de l’équipe Cardiologie numérique. Il est spécialiste de la simulation électrophysiologique et électromécanique du cœur.
  • Pierre Jaïs, cardiologue, est le directeur de l’Institut hospitalo-universitaire Lyric (Bordeaux), spécialisé dans les maladies du rythme cardiaque.
  • Hubert Cochet, radiologue, est praticien hospitalier au CHU de Bordeaux et membre du Centre de recherche cardiothoracique de l’Inserm.
  • Jean-Marc Peyrat, entrepreneur dans les "medtechs" après une carrière de chercheur chez Inria et dans l’industrie, est cofondateur et directeur technique de inHEART.

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