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Hommage à Valérie Issarny, une chercheuse visionnaire

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Mis à jour le 06/04/2023
Le 12 novembre dernier, Valérie Issarny, chercheuse Inria pionnière dans les domaines du génie logiciel, des systèmes distribués et des smart cities, a été emportée précocement par le cancer. L’institut rend hommage à cette femme de conviction qui s’est battue jusqu’au bout pour porter sa vision d’une recherche académique libre et ancrée dans le collectif.
Valerie Issarny

Une vision et un sens aigu de la recherche

Tout au long de sa carrière, Valérie Issarny a étudié de nouvelles architectures logicielles, des mécanismes et des méthodes permettant à des infrastructures informatiques et de communication en constante évolution de supporter des applications innovantes. Dès le début des années 2000, alors que les smartphones n’existaient pas, elle a supposé que ces applications seraient accessibles à partir de dispositifs mobiles. L'équipe-projet ARLES, qu’elle avait créée, a été parmi les premières à étudier le potentiel de l'architecture orientée services (SOA) pour la composition dynamique d'applications distribuées, à partir de fonctionnalités hébergées sur des appareils mobiles proches les uns des autres.

Dès 2010, Valérie Issarny s’attaque au problème de l’interopérabilité de ces systèmes, dont l’utilisation devenait universelle, et qui doivent pouvoir communiquer en dépit de leur hétérogénéité de hardware, réseau et couches logicielles, et de leur mobilité. En 2014, elle intègre l’équipe MiMove, dirigée par Nikolaos Georgantas qui souligne : « Valérie était un mentor et un exemple pour tous les collègues de l'équipe de recherche Inria ARLES, et au-delà. Elle a continué à être la pierre angulaire de l'équipe, y compris lorsque celle-ci a suivi son évolution naturelle vers l'équipe MiMove. »

 

Un goût pour les collaborations internationales

Dès le début de sa carrière, Valérie Issarny est impliquée dans de très nombreuses collaborations internationales, académiques comme industrielles, et souvent à des postes à responsabilité. Ainsi, pour relever le défi de l’interopérabilité des systèmes, elle lance et coordonne le projet européen FET Connect, qui va étudier les mécanismes logiciels qui permettent aux systèmes hétérogènes en réseau de se connecter. Ce projet, qui a impliqué des chercheurs de haut niveau dans des domaines allant de l'apprentissage automatique de protocoles aux méthodes formelles, en passant par les services sémantiques, la fiabilité et les intergiciels, lui vaudra de recevoir en 2013 l’Étoile de l'Europe décernée par le ministère français de la Recherche.

 

Paola Inverardi, professeur d’informatique à l'université de l'Aquila (Italie) qui a collaboré avec elle sur ce projet et deux autres, ainsi que dans le cadre de l’équipe internationale associée ASA, témoigne : « Valérie avait d'excellentes capacités de gestion. En tant que coordinatrice scientifique, elle a su orienter doucement et fermement les différents partenaires vers la réalisation de visions ambitieuses communes. Le projet FET Connect en particulier a anticipé de quelques années des problèmes et des techniques de recherche qui figurent aujourd'hui à l'ordre du jour de la recherche internationale ».

Des travaux de recherche pionniers

Dès 2013, Valérie Issarny s’implique dans le rayonnement institutionnel. Elle accepte la coordination scientifique du programme international Inria@SiliconValley, qui a vocation à favoriser la collaboration entre Inria et les universités californiennes, et part à l'UC Berkeley comme chercheuse invitée. Sa mission d’un an est un tel succès qu’elle sera renouvelée cinq années consécutives, ce qui bénéficiera à tout l’écosystème de recherche, jusqu’aux startups technologiques françaises.

Parallèlement, de 2014 à 2018, l’infatigable chercheuse coordonne le Project Lab CityLab@Inria sur les villes intelligentes, impliquant sept équipes Inria. Selon Nalini Venkatasubramanian, professeur au Department of Computer Science de l’Université de Californie à Irvine, « Valérie était une visionnaire avec l'omniprésence de l'informatique mobile et de l'IoT, elle a vu très tôt la nécessité d'engager les citoyens à fournir des informations pour les applications urbaines. Ses premiers travaux sur la compréhension et l'atténuation de la pollution sonore par l'IoT dans la ville de Paris étaient pionniers ce travail a mis en lumière les défis du déploiement à long terme de solutions à l'échelle ».

Les travaux en question donneront lieu à la création d’une startup, Ambiciti, qui va développer l’application du même nom, une solution de mesure très fine du degré de pollution atmosphérique et sonore auquel nous sommes exposés, rue par rue.

Ce focus sociétal amènera aussi Valérie Issarny à collaborer avec des chercheurs en sciences sociales de l’UC Berkeley sur les nouvelles formes de démocratie et de participation sociale. Il en résultera une plateforme logicielle, expérimentée en 2016 par la ville de Vallejo en Californie et par la Région Nouvelle Aquitaine en France pour des expérimentations de budget participatif.

Une femme de conviction

Très estimée par la communauté scientifique, en témoignent les nombreux hommages qui lui ont été rendus depuis son décès, Valérie Issarny a été éditrice associée des revues scientifiques les plus prestigieuses de son domaine. Nommée rédactrice en chef de ACM Transactions on Autonomous and Adaptive Systems (TAAS) le 1er décembre 2020, elle a également présidé ou participé à de très nombreux comités de programmes et comités de pilotage de conférences internationales de premier plan. Ces missions ne manqueront jamais de laisser une trace dans la vie de ses collaborateurs.

Élue au conseil d’administration de l’ACM Europe Council (Association for Computing Machinery), elle était également membre du Conseil scientifique de l'ARCEP. Elle avait été aussi élue à la Commission d’évaluation d’Inria. Nombre de ses collègues de la Commission ont d’ailleurs tenu à souligner la justesse de ses raisonnements et de ses coups de gueule, ainsi que la force de ses engagements et de ses convictions.

Une collègue profondément bienveillante

En plus d’être une scientifique hors pair, Valérie Issarny était une collègue et une superviseuse immensément appréciée. Apostolos Zarras, professeur d’informatique à l’université d’Ioannina (Grèce), a été l’un des premiers doctorants qu’elle a encadrés. Il décrit une directrice de thèse exigeante, extrêmement présente, sans être directive. « C’était une critique sévère, qui voulait nous voir progresser et n’hésitait pas à faire beaucoup de retours pour nous guider, tout en nous laissant énormément de liberté. Elle était toujours disponible, ne serait-ce que pour un commentaire rapide, et très encourageante ».

Un portrait d’elle qui fait écho avec d’autres témoignages parmi ses 21 doctorants, ou parmi ses collègues. Ils décrivent tous la réactivité, la pertinence et l’humanité des échanges qu’ils ont eu la chance d’avoir avec Valérie Issarny. Pour nombre d’entre eux, plus qu’une collègue, ou même qu’une amie, Valérie était un membre de leur famille de cœur et de recherche. Un sentiment résumé par son amie et collègue de 20 ans, Nalini Venkatasubramanian « Ce fut un cadeau de rencontrer Valérie, un cadeau que je garderai précieusement pour toujours ».

Témoignages

Un hommage à la mémoire de Valérie Issarny serait de perpétuer son héritage en créant un impact positif sur le monde grâce à la technologie, Nalini Venkatasubramanian.

Notre collaboration a toujours eu la caractéristique d'être très visionnaire, mais solide et pleinement ancrée dans un cadre de faisabilité scientifique et technologique clair, Paola Inverardi.

Valérie était une "râleuse", mais toujours exacte dans ses critiques. Elle était combative et passionnée, se battant sans compromis pour tout ce qu'elle considérait comme juste, Nikolaos Georgantas.

Valérie disait souvent ‘‘La meilleure façon de se remettre du rejet d’un article scientifique, c’est de commencer à en rédiger un autre’’, Apostolos Zarras. 

Valérie Issarny en quelques dates

  • 1991 : doctorat sur le traitement des exceptions dans les programmes parallèles à l’université de Rennes 1 sous la direction de Jean-Pierre Banâtre.
  • 1992 : recrutée chargée de recherche chez Inria au sein de l’équipe Solidor, spécialisée en construction de systèmes et d’applications distribués.
  • 2002-2013 : crée et dirige l’équipe ARLES chez Inria Paris Rocquencourt.
  • 2013-2022 : directrice de recherche au sein de l’équipe Inria MiMove.
  • 2013-2018 : coordinatrice scientifique du programme Inria@SiliconValley à l’université de Berkeley.
  • 2014 : reçoit la Légion d’honneur pour sa contribution à l’Enseignement supérieur et à la Recherche.
  • 2021 : devient directrice de recherche de classe exceptionnelle.