Éducation et numérique

Féminiser le numérique : un défi collectif et un enjeu de société

Date:
Mis à jour le 04/10/2023
Les premières Assises nationales de la féminisation des métiers et filières numériques se tiendront le 16 février 2023 à Paris. Organisé par Femmes@Numérique que soutient Inria et la Fondation Inria, l’événement va mettre en lumière les actions menées en faveur de cette féminisation. Décryptage de ce défi avec Muriel Brunet, responsable du programme "Éducation et Numérique" chez Inria, et Peggy Vicomte, déléguée générale de Femmes@Numérique.
Personnes avec ordinateurs portable rassemblées autour d'une table lors d'une réunion
© Inria / Photo B. Fourrier

 

Quels constats dressez-vous sur la féminisation du numérique ?

Peggy Vicomte – Les métiers du numérique sont aujourd’hui en France trop masculins : en effet, seules 15% des femmes y occupent un poste et à peine 10% suivent un cursus d’ingénieur ouvrant à ses métiers. Entre 2013 et 2017, la part des femmes diplômées de la tech a chuté de 2% dans notre pays, alors qu’elle a augmenté de 6% chez nos voisins européens…

Muriel Brunet – Cette sous-représentation des femmes dans les métiers autour de la technologie a des causes très profondes et multiples. Il subsiste de tenaces obstacles, d’ordre systémique, à la féminisation du numérique : c’est ce que montrent les travaux d’Isabelle Collet, chercheuse spécialiste du sujet.

Ces premières assises nationales ont pour sous-titre "Face à l’urgence, que faire ?". Pourquoi cette urgence ?

P.V. – La mixité numérique est un véritable défi collectif car de nombreuses études montrent que notre secteur fait face à une pénurie de compétences, alors que plus de 400 000 postes seront à pourvoir d’ici à 2025.

M.B. – L’enjeu est certes économique, car l’impact de cette pénurie est chiffré à plus de huit millions d’euros, mais il est aussi social et sociétal. On ne peut se priver des contributions féminines, c’est-à-dire de la moitié des talents qu’il manque au secteur, au risque de perdre en innovation, en compétitivité… et en représentativité de la population.

P.V. – Et le numérique, de la conception à l’utilisation, y gagnera en efficacité ! Aujourd’hui, les services rendus par de nombreuses applications ne sont pas optimaux car elles ont été conçues sans prendre en compte les femmes (pensons par exemple à un logiciel de reconnaissance vocale, calibré sur les seules voix masculines).

De quels moyens d’action dispose-t-on pour faire évoluer cette situation ?

M.B. – Le problème étant structurel, il est nécessaire de déployer une politique globale. De l’éducation à la promotion des parcours et des compétences en entreprise, en passant par la formation continue, les femmes qui s’intéressent au numérique doivent être accompagnées et soutenues dans leurs projets professionnels.

Plus il y aura de femmes dans le numérique, plus ce secteur évoluera pour leur octroyer leur juste place et leur offrir les mêmes opportunités qu’aux hommes. Le secteur public et certaines entreprises privées sont déjà engagés en ce sens, poussant par exemple des femmes vers des postes à responsabilité au sein de directions des systèmes d’information, traditionnellement très masculins.

P.V. – Changer la donne prendra du temps, et, pour y arriver, nous devrons apporter des réponses structurelles. Mais il est possible d’accélérer la tendance avec des actions ciblées. Par exemple, identifier les appétences et compétences d’étudiantes en sociologie, économie ou géopolitique et les orienter vers des métiers du numérique. Leur bagage universitaire s’y avère très utile, par exemple sur l’analyse de données ou sur les stratégies de cybersécurité. De même, former des femmes en reconversion à certains métiers de l’informatique constitue pour elles une opportunité d’évolution, mais correspond aussi aux besoins du marché.

Dans ce contexte, quels sont les objectifs de ces premières assises nationales et comment vont-elles se dérouler ?

P.V. – L’ambition de ces assises n’est pas de se cantonner aux constats, toujours nécessaires à énoncer, mais de tracer un sillon pour favoriser des actions fédératrices d’envergure nationale. Avancer concrètement et efficacement sur ces questions demande aussi de consentir à engager des moyens financiers publics et privés, que la mixité numérique justifie parfaitement…  

Les assises vont réunir, autour de conférences, interviews et temps d’échange, près de 500 participantes et participants, représentant les pouvoirs publics, le monde associatif, les entreprises, les écoles, universités et centres de recherche, etc.

M.B. – C’est dans le cadre de cet écosystème transversal qu’Inria s’investit depuis plusieurs années au COMEX de Femmes@Numérique. Ces assises affirmeront la nécessité de coordonner les initiatives engagées par l’écosystème du numérique national et de les inscrire dans le temps. Le rôle joué par Femmes@Numérique, à travers son observatoire de la féminisation du numérique, sera sans doute des plus utiles pour évaluer dans la durée l’efficacité des actions engagées.