Dans 50 ans, les ordinateurs écriront des succès littéraires ?

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Mis à jour le 19/03/2020
Jérôme Euzenat est responsable de l’équipe Moex, succédant à l’équipe Exmo, au centre Inria Grenoble Rhône-Alpes. Il nous explique quelles vont être les thématiques de cette nouvelle équipe. Et, à l’occasion des 50 ans de l’institut, il livre sa vision du monde numérique en 2067.
Illustration clavier
© Inria / Photo H. Raguet

Quel est le sujet de recherche de l’équipe Moex ?

Jérôme Euzenat : Nous travaillons dans le domaine de la représentation des connaissances, qui est une sous-discipline de l’intelligence artificielle. Les êtres humains disposent de connaissances que nous devons savoir représenter. Pendant une quinzaine d’années, avec l’équipe Exmo, nous avons travaillé sur le Web sémantique. Un grand nombre de bibliothèques, d’instituts statistiques publient des données publiques se conformant à différentes ontologies. Ces ontologies représentent des connaissances, s’appliquant à ces données, exprimées dans un langage formel (une logique). Mais toutes ces représentations peuvent être très différentes les unes des autres ce qui nuit à la communication. Nous cherchons des correspondances entre elles afin de rétablir la communication. Par exemple, nous essayons de trouver des correspondances entre l’ontologie d’un ou une bibliothécaire et celle d’une maison d'édition.
Avec Moex, nous prenons désormais le problème dans le sens inverse. Nous allons d’abord essayer de communiquer et, comme n’importe quel humain, quand il y a un problème de compréhension, nous allons modifier la perception et la représentation que nous avons des choses, et donc la perception que l’autre aura. Des chercheurs et chercheuses ont déjà réussi à faire en sorte que des robots puissent développer un langage en interagissant. L’objectif de Moex est d’appliquer cela, non plus au langage, mais à la représentation de connaissances, qui est par définition cachée, et de comprendre ses caractéristiques.

Sur quels types d’applications pourraient déboucher vos travaux ?

Nos travaux sont théoriques. Mais pour prendre un exemple, imaginons une entreprise française qui fait fabriquer des objets à l’étranger et souhaite un étiquetage en français. Parfois, des intermédiaires commandent à leur fournisseur des biens qui doivent être étiquetés de la manière appropriée pour les clients auxquels ils les vendent. Nous pourrions développer des agents logiciels qui communiquent pour mettre en place l’étiquetage. Ils sont capables de déterminer ce qui est incorrect et peuvent rectifier leur connaissance s’il y a une erreur. Une telle approche, adaptative, devrait aussi permettre d’évoluer au fil des changements dans le goût de la clientèle ou dans l’offre du fournisseur.

Et, en se projetant dans une cinquantaine d’années, comment aura évolué l’intelligence artificielle ?

Déjà, regardons un peu en arrière. Il y a trente ans, j’ai commencé à faire de l’intelligence artificielle avec une idée folle en tête. Je voulais faire apprendre à un ordinateur l’ensemble de l’œuvre de Baudelaire et lui faire achever les Petits poèmes en prose. À l’époque, c’était quelque chose d’inimaginable à moyen terme. Aujourd’hui, avec un peu de travail c’est tout à fait réaliste.

 

Dans 50 ans, je ne serais pas surpris qu’il y ait des œuvres littéraires étonnantes écrites par des ordinateurs… 

 

 

En revanche, les techniques d’aujourd’hui restent limitées, notamment en ce qui concerne la créativité. Nous pouvons faire apprendre à une machine à écrire un livre d’un certain type, mais pas lui inculquer une culture large. Nous ne savons pas enseigner à un robot comment réagir dans toutes les situations. Ce sera un défi des années à venir : apprendre à partir de peu d’informations… Et apprendre de façon plus globale et non plus tâche par tâche.