Le réseau routier constitue l’un des éléments les plus importants du patrimoine public. L’État est en effet responsable de près de 21 000 km de routes, qu’il est nécessaire d’entretenir, d’aménager, de remplacer, et de préserver. Mal entretenues, elles pourraient en effet voir leur valeur patrimoniale et leur valeur d’usage diminuer, avec des conséquences économiques majeures.
Derrière cette gestion, des opérateurs routiers, à l’image du Cerema, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement, qui parmi ses missions propose la gestion intégrée de patrimoine d’infrastructure (GPI). En conciliant les enjeux de long terme avec les contraintes de court terme et les logiques opérationnelles, cette démarche a ainsi pour objectif de permettre à l’État de disposer d’infrastructures et services de transport plus durables, plus sûres et plus résilientes.
Aujourd’hui, pourtant, l’infrastructure est mise à rude épreuve par le changement climatique. Les phénomènes extrêmes, en augmentation, sont en effet lourds de conséquences sur les infrastructures routières : inondations, mouvements de terrain, coulées de boue… Par ailleurs, les conditions d’usages de l’infrastructure elle-même évoluent, que ce soit par la densité du trafic routier ou par sa nature (véhicules de plus fort tonnage). Les usagers de la route sont, de leur côté, de plus en plus vigilants concernant les questions de sécurité et de confort liées à l’usage de la route, mais également les enjeux environnementaux portant sur la construction et la maintenance des infrastructures.
ROAD-AI, quatre ans pour inventer la gestion patrimoniale des infrastructures routières de demain
Des problématiques qui ont poussé le Cerema à solliciter Inria pour mettre en place une collaboration afin de mutualiser leur savoir-faire, à savoir les compétences métiers du Cerema et les compétences scientifiques dans le numérique d’Inria. Le but : faire évoluer la maintenance patrimoniale des infrastructures au bénéfice des opérateurs routiers, en dépassant les verrous scientifiques et techniques auxquels est aujourd’hui confronté le centre d’études.
« L’idée pour le Cerema, c’est de mieux comprendre les déformations des infrastructures routières, notamment dues au froid, à la pluie, au gel, mais aussi au passage des véhicules lourds, afin de mieux anticiper et prioriser les interventions de maintenance », explique Nathalie Mitton, copilote des équipes Inria dans le Défi ROAD-AI.
Cette collaboration, officialisée le 24 juin 2021 par la signature d’un accord-cadre, a donné naissance à un "Défi", baptisé ROAD-AI et lancé le 1er juillet 2021, portant sur quatre objectifs métier fixés par le Cerema :
- Bâtir un "jumeau numérique" dynamique de la route ;
- Faire évoluer les "lois" de comportements de la chaussée et des ouvrages d’art à partir des données d’auscultation de surface ou de visites d’ouvrage, de capteurs et de données d’environnement ;
- Inventer le concept de ponts et tunnels "connectés" à l’échelle système ;
- et enfin Définir des méthodes de planification stratégique des investissements et de maintenance (prédictive, prescriptive puis autonome).
« L’essence même du Défi, c’est de permettre aux équipes de recherche de travailler autrement que dans un silo scientifique classique. Et c’est ce qui était intéressant dans le cadre de cette collaboration : faire en sorte que des équipes qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble puissent le faire, afin de répondre au mieux aux objectifs métier », explique Christophe Biernacki, copilote des équipes Inria dans le Défi ROAD-AI.
Les Défis Inria, pour faire avancer les connaissances et inventer de nouvelles disciplines
Les Défis Inria permettent de lancer des projets de recherche ambitieux en lien direct avec le plan stratégique de l’institut et les jalons qu'il y définit. Souvent multidisciplinaires, ils intègrent des compétences variées et ont pour objectif de mobiliser et mettre en valeur l’expertise des chercheurs et chercheuses Inria autour de défis importants.
Pilotés par un ou une responsable scientifique, les Défis Inria sont formalisés autour d’un sujet de recherche précis, avec un programme et des objectifs définis. Ils mettent en commun les ressources en "matière grise" d’un ensemble de chercheurs et chercheuses de différentes équipes-projets d’Inria mais aussi des partenaires extérieurs académiques ou industriels.
Multidisciplinarité, mot d’ordre du Défi ROAD-AI
Quatre objectifs métier qui ont été répartis en trois axes de recherche multidisciplinaires, basés sur les briques techniques transverses identifiées entre Inria et le Cerema lors d’échanges préliminaires entre les deux entités :
- Acquisition et collecte de la donnée grâce à des capteurs et drones ;
- Restitution de la donnée au travers de la modélisation 3D ;
- Analyse de survie, détection d’anomalies basée sur le traitement des données versatiles.
« Nous avons eu, dans un premier temps, beaucoup de discussions autour de la transformation des problématiques métier du Cerema pour les interpréter en verrous scientifiques. Cette première phase a été longue mais était indispensable pour aller dans une phase de maturation puisque le cœur du Défi, c’est la feuille de route scientifique », indique Christophe Biernacki.
Six équipes de recherche Inria, qui ont intégré le Défi suite à un appel à projets, sont ainsi réparties par axe en fonction de leurs thématiques de recherche : ACENTAURI, COATI, et FUN pour l’axe numéro un, TITANE pour l’axe numéro deux, et MODAL et STATIFY pour l’axe numéro trois. Plusieurs équipes du Cerema sont également intégrées dans chaque axe.
Les recrutements effectués pour le Défi (ingénieurs, doctorants, postdoctorants) seront, quant à eux, systématiquement et officiellement co-encadrés par des membres des équipes du Cerema et d’Inria, afin de permettre aux différents acteurs de travailler de manière rapprochée, quelle que soit leur expertise métier ou scientifique.
Désormais, place à la seconde phase, dans laquelle la partie scientifique va prédominer. L’avancée des trois axes de travail se fera différemment en fonction des problématiques de chacun, mais des réunions de pilotage de l’ensemble du projet se tiendront au minimum une fois par an (en plus des réunions classiques organisées pour chaque axe), afin de faire le point sur l’évolution de la collaboration. Enfin la dernière phase du projet, d’une durée de deux ans, sera dédiée à l’exploitation avec les ingénieurs du Cerema des résultats scientifiques, afin qu'ils soient implémentés au cœur des activités du centre.
Un accord-cadre pour une collaboration longue durée
Outre le Défi ROAD-AI, dont l’objectif est à terme de faire évoluer les stratégies patrimoniales des gestionnaires routiers une fois que les acquis seront déclinés de manière opérationnelle en ingénierie, l’accord-cadre défini entre le Cerema et Inria est un premier pas vers une potentielle collaboration plus globale entre les deux entités.
Le centre d’études possède en effet plusieurs autres activités, dans les domaines de la sécurité maritime, du bâtiment, de la mobilité, ou encore de l’environnement, qui pourraient faire l’objet de travaux de recherche communs. « L’accord-cadre n’est pas spécifique au Défi, il organise ce dernier comme l’une des actions possibles mais le Cerema est partant pour quelque chose de plus large, potentiellement sur d’autres activités », indique Christophe Biernacki.
En attendant, l’institut se réjouit des premiers échanges d’expertises avec le centre d’études, dont la particularité de fonctionnement permet une ouverture du dialogue entre les différents acteurs : « Le Cerema est attaché à la recherche, comprend les enjeux d’un organisme public, tout en ayant une importante obligation métier. Pour Inria, travailler aux côtés d’un autre organisme public, avec un fonctionnement aussi hybride, permet de partager des expertises et points de vue enrichissants », conclut Nathalie Mitton.