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« Repousser les limites de la robotique »

Date:
Mis à jour le 25/11/2021
Christian Duriez, responsable de l’équipe-projet Defrost* spécialisée en robotique déformable, vient de recevoir le prix Ernest Déchelle, décerné tous les trois ou quatre ans par l'Académie des Sciences à un scientifique travaillant dans un laboratoire français dans un domaine en lien avec les mathématiques. Portrait d’un chercheur décidé à « repousser les limites de la robotique ».
christian duriez accoudé à une balustrade
© Inria / Photo C. Morel

 

Avec Christian Duriez, les robots deviennent plus vrais que nature. Ce chercheur Inria est à la fois entouré de spécialistes de l’électronique, de la simulation numérique, d’ingénieurs ou de créateurs de logiciels mais aussi de drôles de machines molles constituées de silicone ou de polymères élastiques. Sur les bureaux, des prototypes de robots déformables sont soumis à rude épreuve pour comprendre leurs déformations et être capable d’en faire des modèles numériques. Comment ces robots vont-ils se contracter, s’étirer, se tordre ? Voilà ce que les membres de l’équipe cherchent à analyser et anticiper à longueur de journée.

 « Notre objectif est par exemple de piloter la déformation du robot en calculant les charges qu’on lui applique. Nous utilisons l’impression 3D pour fabriquer des robots, afin de pouvoir valider nos modèles et vérifier qu’ils ne sont pas trop éloignés de la réalité. »

Avec son équipe pluridisciplinaire, Christian Duriez travaille sur des robots qui dans le futur seront sans doute capables d’intervenir dans des domaines encore insoupçonnés aujourd’hui. Après avoir travaillé dix ans sur la simulation chirurgicale, notamment sur le comportement mécanique des tissus anatomiques et leurs interactions avec les outils du chirurgien, il a choisi de faire un changement de cap dans sa recherche. 

« Pour ce nouveau sujet, nous pouvons profiter de notre savoir-faire sur la simulation temps réel des corps déformables mais aussi envisager des applications nouvelles en robotique chirurgicale. »

Modéliser un robot sur logiciel

Cette nouvelle façon de concevoir les robots pourrait révolutionner le secteur dans les prochaines années.

« L’industrie reproche régulièrement aux robots d’être dangereux. Les modèles déformables le sont beaucoup moins. Ils peuvent s’adresser à des segments qui recherchent des robots moins chers à fabriquer, avec beaucoup de liberté de mouvement et capables de se faufiler dans des endroits très tortueux. »

Les robots déformables offrent donc de nouvelles perspectives aux industriels pour l’avenir et l’équipe Defrost poursuit ses recherches pour les modéliser et les piloter avec le plus de précision possible.

« Le principal obstacle à l’émergence de cette robotique déformable est que les méthodes actuelles de design et contrôle ne fonctionnent pas pour le déformable. Il faut pouvoir analyser un nombre de variables infiniment plus important que pour un robot rigide, c’est cela le challenge ! Dans l’équipe nous inventons donc de nouvelles méthodes tout en les intégrant dans une plate-forme logicielle. Nous aimerions que cette plate-forme devienne un standard. »

Des robots adaptables

Alors que la recherche dans le domaine a encore de sérieux défis à résoudre, certains industriels commencent déjà à prendre conscience du potentiel et des qualités du robot déformable.

« Il peut amortir la plupart des chocs. Fabriqué en silicone, il est incassable même dans les milieux les plus hostiles. Alors qu’un robot rigide est capable d’éviter les collisions, le robot déformable utilise les contacts avec l’environnement pour avancer, c’est une conception complètement différente. »

L’équipe Defrost multiplie les contacts avec les entreprises, comme par exemple la conception d’un préhenseur polyvalent en collaboration avec l’industriel TDR. « Nous souhaitons pouvoir travailler sur des projets de recherche communs avec des entreprises qui ne sont pas satisfaites du design actuel des robots et qui pourraient bénéficier de cette nouvelle approche, plus souple », explique Christian Duriez.

En 2020, l’équipe a d’ailleurs remporté le Grand prix du jury du hackAtech Lille, événement destiné à impulser des projets de startups à partir des recherches en sciences du numérique, avec le projet Octo+, un bras robotisé permettant aux personnes à mobilité réduite de gagner en autonomie et mobilité.

Collaborer avec une équipe de robotique déformable

Dominique Watier, directeur de TDR : « Le projet monté avec Inria est parti de l'envie d'imaginer une solution polyvalente et accessible financièrement susceptible de fournir une alternative aux dispositifs classiques et coûteux de la robotique industrielle […] L'usine du futur est un univers très vaste qui ne demande qu'à être exploré… Nous sommes déjà en train de réfléchir à de nouvelles idées que nous pourrions développer avec Defrost ! »

Encore de nombreux défis à résoudre

Vers des robots plus complexes

Comme tous les êtres de la nature, les robots souples doivent être capable de percevoir leur corps et leur environnement. Il faut donc les équiper de capteurs. Comme nos nerfs, ces capteurs vont se déformer avec les tissus et envoyer des signaux (changement de résistance, changement de capacité etc…), il faut qu’on soit capable de simuler la physique de ces phénomènes pour optimiser le placement et le choix de ces capteurs. Par ailleurs, comme les muscles, certains matériaux se déforment sous l’effet d'un potentiel électrique ou d'un champ magnétique. Leur utilisation en robotique souple est très prometteuse pour s’en servir comme actionneurs. Mais encore faut-il être capable de les modéliser pour les contrôler. Avec les progrès de la fabrication, on s’approche de plus en plus de la possibilité de combiner des matériaux fibreux, spongieux, des membranes élastiques etc… comme les tissus organiques que l’on trouve dans la nature. Mais comment concevoir, modéliser cette complexité et surtout l’utiliser à bon escient dans un robot ? L’idéal serait de pouvoir tester ces nouveaux robots en simulation avant même de les fabriquer.

Mieux contrôler les robots pour les rendre plus autonomes

Pour contrôler les robots, il faudra être capable de faire descendre drastiquement les temps de calcul de modèles toujours plus complexes, notamment pour mieux prendre en compte le comportement à grande vitesse ou les vibrations. Aujourd’hui nous sommes capables de faire des commandes simples à nos robots, comme suivre une trajectoire. Mais nous voulons aller vers des robots plus autonomes et là, le chantier est très ouvert : si on définit les tâches sur un robot déformable comme on les définit sur un robot rigide, on ne va pas profiter de ses capacités à se faufiler, à s’appuyer, à venir épouser l’environnement. Comment faire ? 

Le parcours de Christian Duriez

Titulaire d’un diplôme d’ingénieur (Institut catholique d’arts et métiers de Lille, 2000), d’un doctorat en robotique (université d’Evry, 2004) et d’une habilitation à diriger des recherches (université de Lille, 2013), Christian Duriez est arrivé chez Inria en 2006, au sein de l’équipe Alcove, pour travailler sur la simulation interactive d’objets déformables et leur retour haptique. En 2009, il est devenu responsable adjoint de l’équipe-projet commune Shacra, consacrée à la simulation chirurgicale. Il fait partie des fondateurs de la startup InSimo, créée en janvier 2013 et qui valorise les travaux menés depuis 2006.

Aujourd’hui, il est responsable de l’équipe-projet Defrost, créée en janvier 2015 et spécialisée en robotique déformable. Ses recherches portent principalement sur la modélisation, la simulation et le contrôle des robots souples (soft-robots), via le logiciel SOFA, que Christian Duriez a codéveloppé avec différentes équipes Inria et qui est aujourd’hui l’un des logiciels stars d’Inria.

En 2018, il a reçu une bourse Fulbright pour effectuer un séjour de sept mois en séjour invité à l’université de Stanford, dans le cadre de Inria@SiliconValley.


* Defrost est une équipe-projet commune à Inria et au laboratoire CRIStAL (Centrale Lille, CNRS, université de Lille)