Science du vivant

Comprendre le vieillissement biologique grâce aux mathématiques

Date:
Mis à jour le 11/04/2024
Combiner des données issues de la biologie et des outils mathématiques pour faire avancer les sciences du vivant, tel est l’objectif de MERGE, la nouvelle équipe du Centre Inria de Saclay. Elle poursuit notamment les travaux menés en modélisation mathématique et simulation numérique par la chercheuse Marie Doumic et ses collègues depuis près de dix ans sur le raccourcissement des télomères. Un enjeu crucial en biologie et en médecine.
Illustration télomeres
© Peterschreiber.media sur Stock Adobe

Comprendre le vieillissement des cellules

Les biologistes le savent : le raccourcissement des télomères, les extrémités de nos chromosomes, qui s’observe à chaque division cellulaire, déclenche finalement la sénescence de la cellule et la dégradation progressive de son fonctionnement. Mais il reste une question à résoudre : est-ce la longueur moyenne des télomères qui signale la sénescence ou la longueur du télomère le plus court ? Le problème est d’autant plus crucial que la mise en place de la sénescence, ou les mécanismes permettant à certaines cellules, comme les cellules cancéreuses, d’y échapper, sont au cœur des recherches sur le vieillissement et la lutte contre le cancer.

Pour tenter d’y répondre, Teresa Teixeira, chercheuse à l’institut de biologie physico-chimique (IBPC) et Zhou Xu, chercheur à l’Institut de biologie Paris-Seine (IPBS), font appel à une technique innovante, la microfluidique, qui permet d’observer jusqu’à 100 générations consécutives de levures. Leurs travaux indiquent que le télomère le plus court est le facteur déterminant de la sénescence dans les lignées cellulaires qui se développent normalement (que les chercheurs ont baptisées "type A"). Mais pour confirmer cette hypothèse, encore faut-il réussir à modéliser ce processus.

Des outils mathématiques au service de la modélisation 

Pour relever ce défi, les deux scientifiques se tournent alors en 2013 vers l’équipe-projet Mamba (commune à Inria et Sorbonne Université), dirigée par Marie Doumic. C’est le début d’une longue collaboration, qui se poursuit aujourd’hui au sein de l’équipe Merge, nouvellement créée au Centre Inria de Saclay.

Verbatim

Les biologistes sont capables de produire une quantité de données impressionnante avec une précision remarquable, mais la difficulté peut être ensuite de les exploiter au mieux. Et c’est à ce moment-là que nous, mathématiciens, pouvons aider : nous travaillons avec eux à élaborer des hypothèses de modèles qui puissent expliquer leurs données.

Auteur

Marie Doumic

Poste

Responsable de l'équipe-projet MERGE

Avec un étudiant en thèse, Thibault Bourgeron, un modèle est mis au point en 2015 pour modéliser le raccourcissement des télomères dans une population de levures… et c’est un succès ! Le modèle confirme l’hypothèse du télomère le plus court comme signal déterminant de la sénescence. Cette première réponse donne envie aux chercheurs d’en savoir plus... 

« Dans les travaux originels de Teresa et Zhou, un autre type de lignée cellulaire, nommé type B, avait été identifié, précise Marie Doumic. Celui-ci ne se développait pas comme le type A mais présentait des arrêts non terminaux : la cellule arrêtait son développement, repartait, s’arrêtait de nouveau, puis, à un moment, entrait en sénescence. Et ça, nous n’avions pas pu le comprendre mathématiquement pendant la première thèse… nous en avons donc lancé une deuxième. » 

De l’échelle cellulaire à la modélisation de populations

Le doctorant, Hugo Martin, combine alors les données biologiques aux méthodes statistiques classiques et aux modèles mathématiques. Résultat : il découvre que les cycles de division des cellules de ce type suivent une loi géométrique : à chaque division, elles ont une chance constante de mourir et une chance constante de se réparer. Et la probabilité d’apparition de ces arrêts augmente au fil des divisions. « Ces résultats s’appliquaient cependant à l’échelle cellulaire, mais il nous fallait ensuite les transposer à un modèle qui puisse représenter ce qui se passe à l’échelle de la population », souligne la responsable de Merge

Une troisième doctorante, Anaïs Rat, prend le relais : elle calibre le modèle sur les données de la microfluidique pour les intégrer à un modèle complet représentant le raccourcissement des télomères dans la population. La jeune chercheuse fait alors une découverte : dans les lignées de type A, la longueur moyenne des télomères, qui n’est pourtant pas un facteur décisif à l’échelle cellulaire, constitue une donnée importante pour prévoir les capacités de prolifération d’une population. Les recherches (dont la publication est en cours) démontrent que pour les lignées de type B en revanche, la mise en place de la sénescence est indépendante du télomère le plus court, et relève du hasard, à l’opposé des types A. Ce résultat ouvre de nouvelles perspectives sur l’étude des cellules surnommées "survivantes" : celles qui, même en l’absence de télomérase (l’enzyme qui restaure les télomères), échappent à la sénescence. C’est le type de cellules qui intéresse de près les chercheurs travaillant sur le cancer. 

La modélisation de leur comportement, ainsi que l’amélioration des modèles existants pour des simulations numériques encore plus rapides, feront partie des projets développés par la nouvelle équipe Merge, héritière des travaux de Mamba. 

Principe et description du modèle mathématique de la sénescence réplicative
Principe et description du modèle mathématique de la sénescence réplicative

La richesse collective des regards croisés

D’ores et déjà, une nouvelle thèse, menée par Jules Olayé et co-encadrée avec Milica Tomasevic, se penche sur l’élaboration d’un modèle de raccourcissement et de rallongement des télomères. Grâce à des financements du programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) exploratoire Maths-VivES, et de l’ANR, les chercheurs vont continuer à faire avancer les connaissances en biologie. « Nous avons la chance de travailler avec des biologistes qui croient en ce que nous faisons, apprécie Marie Doumic. Et le simple fait de discuter ensemble, d’apporter chacun nos regards sur les travaux des uns et des autres, nous fait progresser, poser de nouvelles questions, avancer de nouvelles hypothèses. C’est la force d’un travail interdisciplinaire. »

Interdisciplinaire, Merge le sera résolument. C’est d’ailleurs la perspective de combiner l’analyse des équations dérivées partielles avec les probabilités, la modélisation et les données biologiques, qui a motivé Marie Doumic à prendre la tête de cette équipe-projet, conjointe à Inria, au CNRS et à l’École polytechnique, membre de l’Institut polytechnique de Paris. Les projets de recherche seront eux aussi variés même s’ils ont un point commun : ils naissent tous de questionnements venus des sciences du vivant. 

De multiples projets pour résoudre le même type de problème

Les chercheurs Sylvie Méléard et Vincent Bansaye travaillent en collaboration avec des médecins de l’hôpital Saint-Louis sur des modèles de différenciation des cellules sanguines dans le développement des leucémies ; avec Gaël Raoul, ils étudient, en collaboration avec des écologues, les problèmes d’adaptation des espèces au réchauffement climatique ou les interactions entre espèces, tandis que d’autres encore se penchent sur les modèles de résistance des bactéries ou l’apparition de mutations chez celles-ci. 

« Cela peut donner l’impression d’une multitude de projets sans rapport les uns avec les autres, mais en fait, ils se répondent tous, expose Marie Doumic. Car tous font appel à des méthodes et modèles mathématiques proches, que nous développons pour résoudre ce type de problème. » Ainsi, les recherches sur les télomères bénéficieront non seulement aux biologistes qui travaillent sur le vieillissement et le cancer, mais aussi à tout l’écosystème qui s’appuie sur l’expertise de la nouvelle équipe Merge.

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