Neurosciences et sciences cognitives

Évaluer la santé mentale grâce à l'intelligence artificielle

Date:
Mis à jour le 26/10/2021
Une étude publiée par un collectif interdisciplinaire, dirigé par Denis Engemann, chercheur chez Inria, démontre que l'apprentissage statistique à partir de larges cohortes de population peut produire des « mesures indirectes » pour les problèmes de santé liés au cerveau sans avoir besoin d'une évaluation réalisée par un spécialiste. Les scientifiques ont tiré parti de la UK Biobank, l'une des bases de données biomédicales les plus importantes et les plus complètes au monde, qui contient des données détaillées et sécurisées sur la santé de la population britannique. Les résultats de la recherche ont été publiés dans la revue en libre accès GigaScience.
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© kras99

De la difficulté de diagnostiquer les troubles mentaux

L'OMS a constaté une hausse de 13 % des problèmes de santé mentale et des troubles liés à la toxicomanie entre 2007 et 2017. L'impact de ces maladies sur la société est considérable avec un effet négatif sur presque tous les aspects de la vie quotidienne : l'école, le travail, la famille, les amis et l'engagement communautaire.

L'un des nombreux problèmes qui entravent la capacité de la société à traiter ces troubles est le fait que le diagnostic de ces problèmes de santé nécessite des spécialistes, dont la disponibilité varie considérablement d’un pays à l’autre.

Le développement d'une méthodologie d'apprentissage statistique dans le but de faciliter les évaluations de la santé mentale pourrait fournir un moyen supplémentaire bien nécessaire pour aider à détecter, prévenir et traiter ces problèmes de santé.  

Dans l’optique de développer des modèles d'IA sensibles à la santé mentale, les chercheurs du centre Inria Saclay – Île-de-France et leurs collègues se sont tournés vers la UK Biobank pour obtenir les données nécessaires. La UK Biobank stocke non seulement des données biologiques et médicales, mais également des données de questionnaires sur les circonstances et les habitudes personnelles, telles que l'âge, l'éducation, la consommation de tabac et d'alcool, la durée du sommeil et l'exercice physique. Spécifiquement pour cette étude, ces questionnaires comprennent également des données sociodémographiques et comportementales, telles que les humeurs et les sentiments des individus, et les données biologiques comprennent des images de résonance magnétique (RM) de 10 000 scintigraphies cérébrales des participants.

Produire des "mesures indirectes"

Les scientifiques d'Inria ont combiné ces deux sources de données pour construire des modèles qui rapprochent les mesures de l'âge du cerveau et des traits d'intelligence et de névrosisme définis scientifiquement. Ceux-ci servent de « mesures indirectes », qui sont des mesures fortement corrélées avec des maladies ou des résultats spécifiques qui ne peuvent pas être mesurés directement.

Cette méthode d'approximation  a été utilisée avec succès dans le passé pour prédire « l'âge du cerveau » à partir d'images IRM. Ce précédent corpus de travaux neuro-cliniques a servi de point de départ à Denis Engemann et son équipe.

Verbatim

Dans ce travail, nous avons généralisé cette méthodologie de deux manières. Premièrement, nous avons démontré qu'au-delà du vieillissement biologique, le même cadre de mesures indirectes est applicable à des constructions plus directement liées à la santé mentale. Deuxièmement, nous avons montré que des mesures indirectes utiles peuvent être dérivées d'autres données que les images cérébrales, par exemple les données sociodémographiques et comportementales.

Auteur

Denis Engemann

Poste

Chercheur, équipe Parietal, Inria Saclay

Les chercheurs ont validé leurs « mesures indirectes » en démontrant les mêmes résultats dans un sous-ensemble distinct de données de la UK Biobank.

Les résultats de ces travaux laissent entrevoir un avenir où les psychologues et les modèles d'apprentissage statistique pourraient travailler main dans la main pour produire des évaluations mentales de plus en plus précises et personnalisées.

Par exemple, à l'avenir, les clients ou les patients pourront accorder à un modèle d'apprentissage statistique un accès sécurisé à leurs comptes de réseaux sociaux ou à leurs données de téléphone mobile, pour ensuite renvoyer des mesures indirectes utiles à la fois au client et à l'expert en santé mentale ou en éducation.

L'interprétation des résultats : une étape indispensable

Cependant, si l'IA peut fournir des outils d'évaluation indispensables, l'interaction humaine restera essentielle, comme le souligne Denis Engemann : « Ce qui ne changera pas, c'est que les praticiens de la santé mentale devront interpréter et contextualiser soigneusement les résultats des tests au cas par cas et par le biais de l'interaction sociale, qu'ils soient obtenus par apprentissage statistique ou par des tests classiques. »

Ces travaux, au croisement de l’IA, des neurosciences et de la santé mentale ont été rendus possibles par une étroite collaboration entre des spécialistes de l’apprentissage statistique et des experts de la santé mentale, dont Josselin Houenou, professeur de psychiatrie à l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, et Danilo Bzdok, professeur associé à l'Université McGill et titulaire de la chaire d'intelligence artificielle du CIFAR Canada à l'Institut d'intelligence artificielle Mila Québec, Montréal.

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