Santé - Médecine personnalisée

Des larves de drosophile pour mieux comprendre les maladies neurologiques

Date:
Mis à jour le 28/12/2023
Avec un cerveau de seulement 10 000 neurones, contre approximativement 100 milliards dans le cerveau humain, la larve de drosophile effectue avec succès des tâches complexes dans des environnements aléatoires. Exploiter ce modèle pour mieux comprendre les effets de maladies neurologiques sur le système nerveux humain est un des objectifs poursuivis par la nouvelle équipe-projet du centre Inria de Paris, ÉPIMETHÉE, créée en 2023 avec la volonté d’améliorer l’aide au diagnostic et l’aide au traitement de ces maladies.
Photo en noir et blanc d'une partie de l'équipe EPIMETHEE dans les locaux de l'Institut Pasteur.

L’équipe ÉPIMETHÉE du laboratoire Decision and Bayesian Computation de l’Institut Pasteur de Paris. De gauche à droite : Jean-Baptiste Masson (responsable de l’équipe-projet), François Laurent (ingénieur de recherche), Alexis Bénichou (doctorant), Christian Vestergaard (chercheur permanent).

Neurosciences : lever les mystères des maladies neurodégénératives

Aux yeux des commerçants en fruits et légumes, la larve de drosophile (ou mouche du vinaigre) est une menace pour l’aspect et la conservation de leur marchandise. Mais pour les chercheurs d’ÉPIMETHÉE, la nouvelle équipe-projet commune entre Inria, l’Institut Pasteur et le CNRS, sa larve est un objet d’étude, voire de fascination. En étudiant ses circuits neuronaux, ils espèrent lever d’ici quelques années certains mystères des pathologies du système nerveux humain, en s’aidant de la biologie computationnelle, telles que les maladies neurodégénératives comme Alzheimer ou Parkinson, ou inflammatoires telles que la sclérose en plaques.

Nous voudrions expliquer comment ces pathologies affectent l’architecture et le fonctionnement de nos propres circuits neuronaux, annonce Jean-Baptiste Masson, responsable de l’équipe-projet. Notre autre ambition est d’améliorer les premières étapes de tests de candidats-médicaments pour les maladies neurodégénératives. »  Un moyen d’optimiser ainsi l’aide au traitement.

Une équipe interdisciplinaire réunie autour de la bio-informatique

L’équipe-projet ÉPIMETHÉE est rattachée au laboratoire Decision and Bayesian Computation de l’Institut Pasteur de Paris, également dirigé par Jean-Baptiste Masson. Elle compte dix membres, spécialistes en physique théorique, neurosciences, logiciels et inférences bayésiennes. Un chercheur Inria la rejoindra dans un second temps et apportera ses connaissances en mathématiques théoriques, simulation et développement.

Architecture de la procédure d’inférence amortie des propriétés physiques de maches aléatoires de biomolécules à partir d’une approche de réseau de neurones sur graphes.
Architecture de la procédure d’inférence amortie des propriétés physiques de marches aléatoires de biomolécules à partir d’une approche de réseau de neurones sur graphes.
 



Jean-Baptiste Masson est quant à lui physicien théoricien de formation, mais aussi cofondateur et directeur scientifique d’une startup, Avatar Medical. Celle-ci commercialise à l’attention des chirurgiens un outil de réalité virtuelle qui, à partir des images médicales d’un patient, génère des représentations 3D pour faciliter la préparation des interventions. 

Video file
Représentation volumétrique d’un fœtus à partir d’imagerie IRM en réalité virtuelle.
 
Verbatim

Notre objectif est de décrire comment l’évolution a optimisé les circuits de décision de la larve de drosophile. Pour y parvenir, il faut associer plusieurs disciplines dans une approche mêlant bio-informatique et biologie computationnelle avec, par exemple, des modèles d’un niveau de complexité avancé, à l’interface de la physique et des mathématiques, pour lesquels la contribution d’Inria sera précieuse.

Auteur

Jean-Baptiste Masson

Poste

Responsable de l'équipe-projet commune ÉPIMETHÉE

Un modèle plus polyvalent que les outils d’intelligence artificielle

Pourquoi ÉPIMETHÉE place-t-elle autant d’espoirs dans la larve de drosophile ? En raison de la simplicité de sa structure cérébrale : 10 000 neurones, quand notre cerveau en compte 100 milliards ! Pourtant, elle sait effectuer des tâches complexes et s’adapter à son environnement : elle se déplace en rampant, roule sur elle-même si elle est attaquée, trouve sa nourriture, réagit à un changement de température, apprend certains comportements… 

Illustration représentant le connectome de la larve de drosophile.
Le connectome de la larve de drosophile : A. Reconstitution 3D de l’ensemble des neurones du cerveau de la larve de drosophile. On voit notamment leurs prolongements vers la chaîne nerveuse ventrale. B. Cartographie des neurones sensoriels avec les afférences en provenance de la périphérie (entrée), les neurones qui traitent l’information directement (2e ordre) et les neurones que ces derniers contrôlent (3e ordre). Crédit : Winding et coll., 2022, traduit et adapté par Pascal Combemorel (licence : CC-BY/source : bioRxiv).
 

Autre atout de la larve, elle ne coûte presque rien. En une journée, on peut évaluer un candidat-médicament sur 100 000 larves voire plus, alors qu’il faut plusieurs semaines pour réaliser la même opération sur une centaine de souris. Jean-Baptiste Masson précise : 

Or, un test est d’autant plus prédictif qu’il porte sur beaucoup d’individus et déclenche une palette étendue de réactions à la molécule. Il est établi que les tests actuels ne sont pas assez fiables : ces dernières années, de nombreux laboratoires pharmaceutiques ont dû renoncer à de nouvelles molécules après des premiers résultats peu concluants sur les humains.

 

Cliché d'une procédure de segmentation des muscles d’une larve à partir d’un scanner.
Procédure de segmentation des muscles d’une larve à partir d’un scanner de larve mêlant segmentation par deep learning, visualisation en réalité virtuelle et annotation sur tablette. Le résultat sur la droite de l’image montre la structure complexe de la musculature de la larve.
 

 

Ces constats ont inspiré aux chercheurs deux idées audacieuses. La première : comprendre, cartographier et modéliser la réalité biologique des connexions cérébrales de la larve de drosophile, pour transposer ces connaissances en santé humaine. La seconde : inventer de nouvelles approches de l’intelligence artificielle, dites bio-inspirées, pour créer des réseaux de neurones plus compacts et plus adaptables.

Sur le premier sujet, ÉPIMETHÉE a franchi un cap important grâce à l’une de ses doctorantes, Anqi Zhou, suivie en cotutelle avec Tihana Jovanic (CNRS). Elle a mis les circuits neuronaux de la larve en contact avec la bêta-amyloïde, un peptide probablement impliqué dans la maladie d’Alzheimer ; puis elle a observé l’altération de circuits bien précis, ainsi que leurs conséquences sur le comportement de la larve. Jean-Baptiste Masson commente :

Nous sommes encore loin d’un modèle transposable aux humains. Mais nous démontrons qu’on peut altérer des circuits neuronaux et en mettre les effets en évidence. Autrement dit, nous accédons à la maladie directement au niveau de ces circuits. 

Or, cette quête de sens est au cœur de la recherche médicale en neurosciences. Il existe quantité de techniques d’imagerie pour scruter le cerveau humain sous tous les angles ; mais les scientifiques n’en sont qu’aux prémices de la compréhension de cette extraordinaire mécanique.

Même à l’échelle de la larve de drosophile, les niveaux de complexité s’empilent. En sus de leur fonction principale, les 10 000 neurones peuvent avoir sur les autres un rôle inhibiteur, excitateur ou neuromodulateur. De plus, certains comportements biologiques changent radicalement sous l’effet d’une poignée de neurones.

 

Schéma représentant l'extraction et la caractérisation des circuits neuronaux de la larve de drosophile.
Résumé visuel de l’approche d’ÉPIMETHÉE mêlant expérience comportementale sur la larve, information provenant du connectome neural ; extraction et caractérisation des circuits neuronaux ; modélisation physique des contraintes agissant sur la larve ; et développement de nouveaux algorithmes à partir de ceux de la larve.

Cartographier les connexions neuronales pour mieux associer corps et cerveau

La feuille de route de l'équipe ÉPIMETHÉE comporte trois étapes. La première, déjà presque aboutie grâce aux contributions de nombreuses équipes, consiste à créer une cartographie des connexions cérébrales de la larve : comment les 10 000 neurones sont-ils reliés les uns aux autres ? Peut-on extraire et analyser les principaux circuits neuronaux ? Toutefois, cette cartographie est statique : elle ne dit pas comment ces circuits se mobilisent pour effectuer des tâches précises (locomotion, apprentissage, décision...).

Cette corrélation sera établie lors de la deuxième étape : le développement d'une "larve virtuelle" – un modèle informatique dans lequel cerveau et corps seront associés pour reproduire le fonctionnement d’une larve. Et Jean-Baptiste Masson souligne également que :

Modéliser le vivant est bien plus difficile que de créer des outils d’intelligence artificielle. Un exemple : la larve peut mobiliser onze segments de son corps selon ses mouvements, les uns après les autres ou tous en même temps, à partir des mêmes neurones.

Ce modèle consacré aux relations corps – cerveau sera décisif pour progresser vers les applications en santé humaine et la réalisation d’un premier test grandeur nature, d’ici cinq ans. La maladie à laquelle il sera dédié dépendra des collaborations qu’ÉPIMETHÉE aura engagées avec des acteurs académiques ou des industriels. 

Vers une intelligence artificielle neuro-inspirée

À plus long terme, la troisième étape consistera à exploiter les résultats neuroscientifiques obtenus sur la drosophile pour aborder sous un autre angle la conception d’outils d’intelligence artificielle (IA).

Jean-Baptiste Masson pense notamment à des capteurs (pression, température, vibration…) dont les signaux, au lieu d’être dirigés vers un serveur distant, seraient traités en un temps record par une IA miniaturisée placée sur le capteur. Objectif : accélérer la prise de décision, par exemple pour fermer une vanne, couper une alimentation électrique ou réduire le régime d’un moteur.

Verbatim

L’évolution a produit des circuits de décision parfaitement optimisés ; à nous de les réutiliser ailleurs. 

Auteur

Jean-Baptiste Masson

Poste

Responsable de l’équipe-projet ÉPIMETHÉE

Photo de groupe de l'équipe EPIMETHEE.
L’équipe ÉPIMETHÉE sur le toit terrasse de l’Institut Pasteur.

En savoir plus sur ÉPIMETHÉE et ses recherches