Communication / Événement

Comment la culture mathématique contribue aujourd’hui aux recherches en sciences du numérique ?

Date:
Mis à jour le 18/03/2024
À l’occasion de la Semaine des Mathématiques 2024 sur le thème « L’important, c’est de participer ! », zoom sur les collaborations entre le Centre Inria de l’université de Bordeaux et l’Institut de Mathématiques de Bordeaux (IMB, UMR université de Bordeaux/CNRS/Bordeaux INP). Comment leurs sept équipes-projets communes allient-elles les multiples facettes des mathématiques et les atouts des sciences du numérique pour faire avancer la recherche ? Réponse avec une interview croisée de leurs deux directeurs : Nicolas Roussel et Vincent Koziarz.
Nicolas Roussel et Vincent Koziarz
© Inria / Photo J. Campet

Vincent, pouvez-vous nous partager votre définition des mathématiques ? 

Vincent Koziarz, Directeur de l’IMB : « Je pense que les mathématiques sont d’abord une façon de penser, une discipline qui nous apprend qu’il est nécessaire de tout justifier, de démontrer rigoureusement. Ensuite, elles sont nécessaires à toutes les sciences et ce, depuis la Grèce Antique et même avant. En France il s’est construit une forte tradition avec des mathématiques de haute qualité qu’il faut perpétuer. Enfin, les mathématiques peuvent apporter de réelles ruptures technologiques en s’appuyant sur la recherche fondamentale. Ainsi, l’IMB est aujourd’hui l’un des plus grands centres français et couvre tout le spectre des mathématiques, des plus fondamentales aux plus appliquées. »

Nicolas, Inria est l'institut national de recherche en sciences et technologies du numérique. Comment les mathématiques interagissent avec le numérique ? 

Nicolas Roussel, Directeur du Centre Inria de l’université de Bordeaux : « On peut commencer par définir le mot numérique. Le numérique, c'est à la fois des sciences et des technologies, des objets, des services, des usages, des cultures, des espoirs et des fantasmes.

Les sciences et technologies du numérique se sont essentiellement construites sur notre capacité à décrire des phénomènes par des nombres et des équations avec les mathématiques et sur la possibilité d’automatiser ces calculs grâce à l’électronique pour aboutir au final à l’émergence de l’informatique. On comprend donc que sans les mathématiques il n’y a pas de numérique, mais que ce dernier permet aussi d’étendre leurs champs d’utilisation. »

Travaux de l'équipe Edge
© Inria / Photo B. Fourrier

Pouvez-vous nous présenter les thématiques de recherche des 7 équipes-projets communes à Inria et l'IMB ?

VK : « Dans nos 7 équipes-projets communes, plusieurs types de mathématiques sont développés notamment les équations aux dérivées partielles (EDP) et les statistiques. 

Nos équipes cherchent à résoudre numériquement, de façon la plus explicite, la plus robuste et au plus proche de la réalité, ces équations qui régissent de nombreux principes physiques ou biologiques. C’est le cas de Cardamom et Memphis, avec chacune une approche différente. Dans le domaine médical, les équipes-projets Carmen et Monc croisent EDP et statistiques en s'appuyant sur l’expérimentation et la gestion de données. L’équipe Astral modélise, entre autres, des systèmes complexes de la vie réelle en se basant sur des analyses statistiques et stochastiques.

Par ailleurs, l’équipe-projet Edge fait de la recherche opérationnelle. Plus précisément, la programmation linéaire en nombres entiers s'avère essentielle dans le développement d'outils d'aide à la décision basés sur des mathématiques discrètes. Enfin l’équipe Canari a pour but d’implémenter des mathématiques fondamentales pour faciliter l’utilisation de théorèmes complexes, notamment en cryptographie. C’est là encore l’avantage de l‘informatique qui permet de faire des quantités de calculs impossibles humainement. »

Quelles applications à tout cela ? 

NR : « Pour continuer avec Canari, l’application souvent mise en avant quand on parle de cette équipe est la cryptographie postquantique, qui vise à concevoir des méthodes de chiffrement suffisamment robustes pour résister aux attaques qui pourraient être menées dans le futur à l’aide d'ordinateurs quantiques.

Astral explore des sujets très variés. Elle travaille avec Naval Group sur l’optimisation de trajectoires pour la détection sous-marine, mais collabore également avec INRAE sur les qualités gustatives et nutritives des viandes bovines.

Edge développe des méthodes d’optimisation qu’elle applique au transport de biens, de personnes ou d’énergie, par exemple. Memphis a travaillé sur la modélisation de phénomènes liés aux éoliennes et convertisseurs d’ondes marines pour la production d’énergies renouvelables et travaille avec l’ONERA sur de nouveaux modes de propulsion aérienne. Cette équipe a par ailleurs contribué à la création de Nurea, une startup spécialisée dans l’aide au diagnostic des anévrismes. Cardamom travaille sur la modélisation des risques côtiers mais aussi le dégivrage d’ailes d’avions. 

Travaux de l'équipe Cardamom
© Inria / Photo M. Magnin

Si ces équipes-projets ont des applications très diverses, c’est parce que les méthodes qu’elles développent peuvent s’utiliser dans de très nombreux domaines. 

Certaines de nos équipes-projets choisissent parfois de se concentrer sur un domaine particulier. Carmen se concentre ainsi sur l’électrophysiologie cardiaque (en lien avec l’IHU Liryc), tandis que Monc se concentre sur la compréhension et le suivi de l’évolution du cancer. 

Il est important de noter que la plupart de ces recherches se font en collaboration avec des partenaires publics ou privés dans des domaines souvent stratégiques. Certaines sont financées dans le cadre de programmes et d’équipements prioritaires de recherche (PEPR). Je pense par exemple aux PEPRs sur les technologies quantiques, la cybersécurité, la gestion de risques ou les systèmes énergétiques. »

Vincent, dans une interview récente donnée aux Échos Judiciaires Girondins1, vous dites que les mathématiques ne sont pas tout. Pourriez-vous nous en dire plus ?

VK : « Oui effectivement, je pense que les mathématiques ne sont pas tout. D’abord il peut y avoir parfois des arguments ou des formules d’autorité qui sont utilisés pour couper court à toute discussion mais en réalité, ce n’est pas parce qu’il y a des mathématiques quelque part que la contradiction n’est pas possible.

Cela me fait ensuite penser à certains mathématiciens qui se sont essayés à d’autres disciplines, comme la biologie par exemple, et ça ne leur a pas réussi. Chaque discipline a sa propre culture, c'est donc important qu’elles coexistent et collaborent.

Et enfin pour moi, il y a certains domaines que les mathématiques ne peuvent pas complètement maîtriser ou formuler, comme les rapports humains. Certains s’y essaient mais cela me paraît compliqué voire impossible. »

Quelles autres disciplines sont importantes ou complémentaires pour faire avancer les sciences et technologies du numérique ? 

NR : « J'ai eu la chance de travailler avec des personnes de différentes disciplines, certaines proches des mathématiques et de l’informatique et d’autres proches de l’humain comme la psychologie, la sociologie ou le design. Au fond, ce qui est essentiel, c’est la diversité à la fois en termes de disciplines mais aussi dans un sens plus global incluant la parité et la mixité sociale. Au-delà des scientifiques en informatique ou mathématiques, le numérique a besoin d'avis d’autres experts :  juristes, philosophes, etc. Il faut brasser les cultures, les savoirs et savoir-faire pour avancer. Dire cela ne diminue en rien l’importance des mathématiques. Chacun, chacune doit pouvoir contribuer à sa manière. »

Du 13 au 20 mars 2024, l’important c’est de participer à la Semaine des mathématiques !