Stéphanie Challita remporte le prix L’Oréal - UNESCO pour les femmes et la science

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Mis à jour le 05/03/2020
Le prix L'Oréal-UNESCO pour les femmes et la science attribue chaque année des bourses de 15 000 € à des doctorantes et 20 000 € à des postdoctorantes pour leurs travaux de recherche. Cette année, 30 lauréates ont été récompensées parmi 900 candidates et Stéphanie Challita est l’une d’entre elles. Elle a produit sa thèse au sein de l’équipe-projet Spirals* du centre de recherche Inria Lille - Nord Europe.

Sur quoi portent aujourd’hui vos travaux de recherche ? 

S. Challita
© Inria / Photo G. Scagnelli
Crédit © Inria / Photo G. Scagnelli

Je travaille sur le "cloud computing", dont chacun a entendu parler. Le grand public, mais aussi les entreprises utilisent tous des services de messagerie, de partage de documents, d’écoute de musique en streaming, des applications qui reposent sur ces services. Or aujourd’hui, il en existe un grand nombre, fournis notamment par les géants du numérique : Microsoft , Amazon , Google , etc. Ces services sont assez similaires, mais comportent des différences importantes : tous offrent par exemple des outils de messagerie, mais auxquels on n’accède pas de la même manière. Ils n’utilisent pas tous le même vocabulaire pour nommer des choses similaires... Une norme existe, celle d’OCCI (Open Cloud Computing Interface), mais aucun de ces fournisseurs ne l’utilise, car ils n’ont pas intérêt à se rendre comparables. Résultat : impossible de comparer les différentes offres ou de passer simplement de l’une à l’autre. Cette hétérogénéité crée de l’ambiguïté et de la confusion chez l’utilisateur et l'utilisatrice et je cherche à résoudre ce problème. Ma méthode consiste à utiliser un langage formel, des notations mathématiques, basées sur la théorie des ensembles. Ce langage me permet de décliner rigoureusement les offres, afin de les comparer et à terme d’autoriser la migration d’applications d’un système à un autre en toute sécurité.

À quels enjeux d’actualité vos travaux répondent-ils ?

Le cloud existe depuis maintenant une dizaine d’années et offre des possibilités élastiques, presque illimitées, mais qui semblent bridées par l’hétérogénéité des services. Ma plate-forme masque ces différences pour les utilisateurs et utilisatrices. Je pense notamment aux entreprises, qui souhaiteraient utiliser deux services simultanément afin d’éviter les pannes. Aujourd’hui, c’est très compliqué à réaliser. Ma plate-forme pourrait également être utile à des développeurs qui conçoivent des applications sur le cloud. Pour le grand public, elle serait utile pour migrer son adresse électronique et tous ses emails sans perdre de données : quand on est arrivé à la limite de stockage par exemple. Mes travaux n’en sont pas encore là, je travaille sur la théorie, il faudra à l’avenir réaliser des implémentations.

Vous venez de remporter le prix L’Oréal-UNESCO : qu’est-ce que ce prix représente pour vous ?

D’abord, je suis très fière de remporter ce prix qui a une valeur symbolique particulièrement importante pour moi, car il promeut l’égalité entre les femmes et les hommes. La place des femmes dans le monde scientifique n’est pas encore égale à celle des hommes, alors j’apprécie que de telles initiatives existent, pour aider les femmes à foncer et aller plus loin. Nous sommes capables, mais il existe encore des freins. 
Ensuite, cette bourse devrait être un tremplin à ma carrière, m’ouvrir des portes. Je compte l’utiliser pour participer à des événements, effectuer des déplacements dans des laboratoires de recherche internationaux, prendre part à des colloques et à des rencontres scientifiques.

Comment s’est construit votre parcours de femme scientifique jusqu’à aujourd’hui ?

J’ai toujours été attirée par les matières scientifiques et en particulier par les nouvelles technologies. Mes parents m’ont toujours beaucoup encouragée dans cette voie. Je suis libanaise et j’ai fait des études d’ingénierie en télécom, systèmes et réseaux à l’université Antonine à Beyrouth. À 22 ans, j’ai eu l’opportunité de venir étudier en France, à l’université de Dijon où j’ai obtenu mon diplôme de Master 2 en recherche, ainsi que mon diplôme d’ingénieure. Mais je ne voulais pas m’arrêter là : c’est pourquoi en 2015, j’ai démarré une thèse au centre de recherche Inria Lille - Nord Europe. C’est dans ce cadre-là que j’ai postulé à la bourse L’Oréal-UNESCO For Women In Sciences. J’ai été très bien entourée pendant toutes mes études et n’ai pas eu à souffrir d’être une femme dans un secteur très majoritairement masculin, mais il est important pour moi d’encourager les jeunes filles à s’engager dans des carrières scientifiques et de promouvoir et valoriser leurs travaux. Aujourd’hui encore, mon équipe-projet Inria, Spirals, me soutient énormément.

Vous allez, au cours des mois qui viennent, participer à des événements pour encourager des jeunes femmes à se lancer dans des carrières scientifiques : comment envisagez-vous cette mission ?

Je suis très heureuse d’y participer, de rencontrer des lycéennes afin de leur expliquer ce qu’est la recherche scientifique, de les motiver. J’aime beaucoup la pédagogie et j’aimerais à l’avenir pouvoir enseigner en parallèle de mes travaux de recherche.

Quelle suite allez-vous donner à votre parcours scientifique ?

Je suis pour le moment à la recherche d’un postdoc. J’aimerais continuer de travailler sur la standardisation du cloud, mais les résultats de mes travaux de recherche pourraient s’appliquer à d’autres domaines tels que le edge computing, l’Internet des objets ou d’autres systèmes distribués. Dès qu’un service est accessible dans plusieurs versions, on rencontre des problèmes d’hétérogénéité. Une autre piste à envisager sera celle de l’interopérabilité au niveau réel. Elle n’est pour l’instant que sémantique. J’aimerais proposer un jour un intergiciel, afin d’assurer la migration. Les solutions actuelles ne font qu’ajouter de l’hétérogénéité.

*L'équipe-projet Spirals est commune entre Inria et l'université de Lille au sein de l'UMR 9189 CNRS-Centrale Lille-Université de Lille, CRIStAL.