Quand les statistiques aident à prévoir les catastrophes

Date:
Mis à jour le 06/11/2020
À Grenoble, des chercheurs et chercheuses Inria de l’équipe Mistis travaillent avec EDF R&D sur l’amélioration de méthodes statistiques capables de prévoir l’ampleur des événements météorologiques extrêmes. Ces travaux permettront à terme de dimensionner plus efficacement les protections des barrages hydrauliques, centrales nucléaires et autres installations électriques face aux aléas naturels, etc. Ils pourront aussi contribuer à d’autres enjeux d’avenir comme la fiabilité des voitures autonomes.
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CCO, Raphael Biscaldi via Unsplash

Nous connaissons tous la capacité des statistiques à prédire un comportement moyen : c’est ce qui permet d’établir des sondages d’intentions de vote à partir d’un échantillon représentatif de 1 000 personnes, ou de prédire les quantités de précipitations moyennes d’après les données météorologiques des années passées. En revanche, il est plus difficile de prévoir à partir de ces mêmes données l’ampleur d’événements extrêmes comme des crues centennales, c’est-à-dire le débordement d’un fleuve comme il ne s’en produit qu’une fois tous les cent ans. C’est pourtant ce sur quoi travaillent des chercheurs de l’équipe Mistis au centre Inria de Grenoble, qui a cofinancé une thèse sur ce sujet avec EDF R&D« Pour EDF, une meilleure prévision de ces catastrophes météorologiques est cruciale pour toujours mieux dimensionner la résistance d’ouvrages comme les barrages hydrauliques ou les centrales nucléaires », explique Stéphane Girard, directeur de recherche dans l’équipe Mistis.

Théorie des valeurs extrêmes

À cet effet, des équipes d’EDF utilisent depuis une dizaine d’années un ensemble de méthodes statistiques issues de la « théorie des valeurs extrêmes », mises en œuvre par des mathématiciens néerlandais après le terrible raz-de-marée ayant submergé les côtes de la Mer du Nord le 1er février 1953 et causé plus de 1 800 morts. « Leur but était de mieux prévenir de telles catastrophes alors qu’on ne dispose souvent pas ou de très peu d’exemples d'événements similaires », explique Stéphane Girard. Dans le cas des Pays-Bas, la précédente marée d’une ampleur comparable avait par exemple eu lieu… en 1570. « L’avantage de la théorie des valeurs extrêmes, c’est qu’elle permet d’estimer la probabilité d’événements extrêmes à partir d’un jeu de données moyennes. L’inconvénient, c’est que l’incertitude liée à ces extrapolations est d’autant plus importante que l’on veut prévoir à long terme, par exemple une crue millénale plutôt que centennale. Tout l’objet de nos travaux est de quantifier plus précisément ces incertitudes », détaille Clément Albert, auteur de la thèse.

Aussi pour les voitures autonomes

En se basant sur des mesures régionales de pluviométrie, de débit fluvial et de vitesses de vent accumulées depuis plus de cent ans, Clément Albert s’est donc attaché à quantifier la fiabilité des outils statistiques d’EDF R&D.

« J’ai par exemple regardé si les prédictions établies à partir des premières années de mesures se vérifiaient sur les dernières années de mesures, en comparant le modèle à la réalité », raconte le chercheur. Les conclusions de cette thèse, achevée en décembre 2018, permettront aux équipes d’EDF de savoir quel niveau de confiance ils peuvent accorder à chaque prévision statistique, et d’en tenir compte lors du dimensionnement des ouvrages.

Mais elles pourraient aussi bénéficier à d’autres domaines stratégiques, comme celui de l’automobile autonome. « La conduite autonome repose sur des capteurs qui mesurent à tout moment les distances entre la voiture et les obstacles. Or, les constructeurs font tout pour caractériser au mieux la fiabilité de ces capteurs. Dans ce contexte, nos méthodes permettraient par exemple d’estimer la longueur de la phase de roulage-test qu’il faut effectuer pour en déduire une prévision fiable à l’échelle de la durée de vie d’un véhicule », explique Stéphane Girard.