Modélisation et Simulation

Optimiser les structures mécaniques pour maîtriser les bifurcations dans la dynamique vibratoire

Date:
Mis à jour le 02/10/2023
Aéronautique, spatial, transport, énergie : les structures mécaniques deviennent de plus en plus performantes, élancées et légères. Conséquence : la vibration peut s’inviter. Quand cette dynamique est non-linéaire, il existe ce que l’on appelle des "bifurcations" : plusieurs scénarios vibratoires notablement différents coexistent à l’insu de l’ingénieur. Avec tous les risques de sécurité inhérents. Pourrait-on développer des méthodes numériques pour se prémunir contre ces bifurcations ? C’est tout l’objet de l’action exploratoire No-Bif lancée par Inria. En cas de succès, cela permettrait de proposer aux industriels un outil pour maîtriser ce risque vibratoire dès la phase de conception et sans attendre le prototypage.   
réacteur avion
© Rafael Drück/Unsplash

 

30 octobre 2015. Un AgustaWestland AW609 effectue un essai en vol dans le nord de l’Italie. L’appareil est un tiltrotor : croisement d’avion et d’hélicoptère dont les moteurs basculent d’une position à l’autre. Ce jour-là, l’équipage prévoit de tester la machine à une vitesse plus élevée qu’auparavant. Brusquement, une oscillation s’empare de la structure. Et l’engin se casse... Deux morts.

« Voilà typiquement un exemple de phénomène de bifurcation, explique Enora Denimal, responsable scientifique de l’action exploratoire No-Bif et membre de I4S, une équipe-projet commune de l'Université de Gustave Eiffel et d'Inria spécialisée dans la surveillance d'intégrité de structures au centre Inria de l’Université de Rennes. Les vibrations sont des phénomènes complexes où l’on rencontre parfois une dynamique non-linéaire. Imaginons qu’à cause du vent, votre structure subisse un effort de 10 newtons générant 2 mm d’amplitude de vibration. Ensuite, avec un effort de 20 newtons de vent, vous pourriez donc vous attendre à 4 mm d’amplitude. Et bien non ! L’amplitude prendra une valeur différente. Il s’agit là d’une première caractérisation des non-linéarités. De plus, une deuxième fréquence vibratoire s’ajoutera aussi peut-être sur la première. La réponse dynamique du système peut alors changer brutalement. »

Image
Portrait Enora Denimal
Verbatim

C’est ce changement brutal, parfois caractérisé par un phénomène de saut que l’on appelle une bifurcation.

Auteur

Enora Denimal

Poste

Chargée de recherche Inria - équipe I4S

Contrôler les bifurcations dès la conception

En pratique, c’est au moment du prototypage que l’industriel découvre ces comportements de la structure et s’emploie à les corriger en repassant par la table à dessin. L’action exploratoire vise à développer des méthodes mathématiques et numériques pour prédire ces bifurcations et les contrôler dès la phase de conception, c’est-à-dire lors du prototypage numérique. Outre l’enjeu de sécurité, cela permettrait aussi de substantielles économies.

L’idée présente d’autant plus d’intérêt que dans certains domaines comme l’aéronautique ou l’éolien, les constructeurs sont engagés dans une course à la performance. Elle passe par des pièces de plus en plus élancées pour des masses de plus en plus faibles. Ce qui, justement, fait apparaître ces phénomènes de bifurcation auparavant plus rares.

Dans l’état de l’art, les bifurcations restent difficiles à prédire. « Il arrive un moment où plusieurs solutions coexistent. Le système se trouve sur l’une d’entre-elle que l’on sait calculer. Mais pour calculer les autres scénarios, il faudrait d’abord savoir qu’ils existent. Or, en général, on l’ignore. »

Développement d'un simulateur

L’objectif principal de No-Bif est donc de proposer une méthodologie permettant de découvrir ces bifurcations et d’imposer ensuite leur placement en termes de fréquence et d’amplitude. « L’ingénieur devra pouvoir dire : si la structure doit subir ces phénomènes, je veux que cela se produise à une fréquence de 300 Hz, et pas à 200. Que l’amplitude soit à 2 mm, et pas à 15. » Il s’emploiera alors à modifier la physionomie de la pièce en conséquence.

Le projet implique trois personnes. Enora Denimal intervient principalement sur les méthodes d’optimisation. Chercheur à l’Imperial College London, Ludovic Renson apporte des compétences sur le calcul des points de bifurcation. Recruté pour deux ans en postdoctorat, Adrien Melot travaille au développement d’un simulateur.

Les scientifiques commencent à illustrer la méthodologie avec des modèles très simples afin de démontrer la faisabilité. « Ce sont des choses qui n’ont jamais été faites. À ce stade, l’objectif est de parvenir à une preuve de concept. Dans le simulateur, nous avons une poutre très basique que nous divisons en multiples tronçons pour lesquels nous modifions l’épaisseur et la hauteur afin de mettre en évidence le comportement vibratoire. Plus tard, nous irons vers des structures plus réalistes et plus complexes, telles que des satellites ou des aubes de turbines, et vers de l’optimisation de forme et de topologie. »

Expérimenter avec un industriel

Débutés fin 2022, les travaux ont déjà livré une première métrique sur la caractérisation des points de bifurcation permettant ensuite d’imposer leur placement en termes de fréquence et d’amplitude dans un processus d’optimisation. Les chercheurs rédigent actuellement un article pour présenter ce résultat.

Au stade exploratoire, toutes ces recherches sont basées sur de la simulation. « À plus long terme, si cela fonctionne comme nous l’espérons, nous envisagerons une validation expérimentale de ces méthodes. Pour cela, il nous faudra la collaboration d’un industriel. Un motoriste aéronautique par exemple. »

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En savoir plus sur le projet No-Bif avec Enora Denimal

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