Maurice Nivat, pionnier de l'informatique fondamentale

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Mis à jour le 16/10/2020
Maurice Nivat, professeur honoraire à l'université Paris Diderot et membre correspondant de l’Académie des Sciences nous a quittés le 21 septembre 2017.
Nivat
© Inria / Photo Gautier DUFAU - G.D.PHOTOS

Né en 1937, Maurice Nivat est admis au concours d'entrée à l'École normale supérieure en 1956. Henri Cartan, directeur des mathématiques d'alors pour les Normaliens, lui propose de travailler au nouveau centre de calcul du CNRS, l'institut Blaise Pascal. Maurice Nivat apprend LispAlgol... et devient informaticien, même si le mot n'existe pas encore - il sera créé au milieu des années soixante.

En 1961, Maurice Nivat devient assistant à la Faculté des Sciences de Paris. Il rencontre Marcel-Paul Schützenberger qui l’initie à la théorie des codes. Il apprend ensuite la théorie des langages, et l’enseigne à ses cadets Jean Berstel, Jean-François Perrot, Michel Fliess. 

De 1965 à 1967, Maurice Nivat est chargé de conférences à Grenoble puis, de 1967 à 1969, à Rennes. En 1967, il soutient sa thèse d'État et il obtient un poste de professeur à la Faculté des Sciences de Paris en 1969. Par ailleurs, il découvre la sémantique des langages de programmation.

C'est au début des années soixante-dix que, parallèlement à ses travaux, Maurice Nivat commence à consacrer beaucoup de temps et d'énergie à construire des équipes de recherche, à l'IRIA et à Paris 7, institutions toutes deux fraîchement créées.

En 1970, Schützenberger introduit Maurice Nivat à l'IRIA, organisé en projets. Maurice Nivat crée en 1971 un projet « Sémantique formalisée des langages de programmation ». Le projet accueillera Philippe Flajolet, Jean-Marc Steyaert, Bruno Courcelle, Gérard Huet, Gérard Berry, et aussi pour une courte période Jean-Jacques Lévy. La thématique reçoit vite le renfort d'autres jeunes chercheurs revenus des USA : Jean-Marie Cadiou, Gilles Kahn, Jean Vuillemin. Ce projet, rebaptisé « Théorie de la programmation », durera jusqu'en 1979 - mais Maurice Nivat restera conseiller de Jacques-Louis Lions, puis de son successeur, Alain Bensoussan, jusqu'en 1996.

Maurice Nivat lance également en 1973 les Écoles de printemps d'informatique théorique, qui ont joué un rôle primordial dans la constitution d'un véritable réseau des informaticiennes et informaticiens théoriciens. Ces Écoles ont notamment servi à croiser abondamment le groupe de Paris 7 et le groupe du bâtiment 8 de l’IRIA.

À l’Université, Maurice Nivat contribue à la création du LITP (Laboratoire d'informatique théorique et programmation) en 1975 dont il sera le codirecteur jusqu'en 1985, avec Jacques Arsac puis avec Bernard Robinet. Il est également responsable du premier enseignement d’informatique obligatoire dispensé aux élèves de l’École polytechnique en 1975.

Au niveau européen, Maurice Nivat joue un rôle essentiel dans la création de l'EATCS (European Association for Theoretical Computer Science) en 1972, aux côtés de Jaco de Bakker, Corrado Böhm et Mike Paterson. L’association organise le premier International Colloquium on Automata, Languages and Programming  (ICALP) à l'IRIA. En 1976, Maurice Nivat fonde le journal Theoretical Computer Science (TCS) dont il sera le rédacteur en chef pendant près de vingt-cinq ans.

En 1982, Maurice Nivat est chargé par Jean-Pierre Chevènement et Alain Savary, respectivement ministres de la Recherche et de l'Éducation, de la rédaction d'un rapport sur la filière électronique, qui s'intitulera « Savoir et savoir-faire en informatique ». Laurent Fabius, devenu ministre de la Recherche et de l'Industrie, propose à Maurice Nivat de présider le conseil scientifique du programme mobilisateur de la filière Électronique. Il met alors en place les Programmes de recherche coordonnés (PRC), qui seront pendant quelques années richement dotés et donneront un fantastique coup de fouet à la recherche française en informatique. Voient ainsi le jour les PRC :

  • Programmation (Robert Cori) ;
  • Mathématiques pour l'Informatique (Dominique Perrin, puis Philippe Flajolet) ;
  • C3 (Coopération, Concurrence, Communication) (Jean-Pierre Verjus) ;
  • BD3 (Bases de données) (Claude Delobel) ;
  • Informatique linguistique (Maurice Gross).

Maurice Nivat est nommé membre correspondant de l’Académie des Sciences en 1983.

Déchargé en 1985 de ses lourdes responsabilités nationales, Maurice Nivat poursuit ses recherches à l’université Paris-Diderot et à l’École normale supérieure de Lyon, en s’intéressant à de nouveaux sujets, notamment les pavages et la tomographie discrète.

Appelé de nouveau par le ministère chargé de la Recherche à présider l'Observatoire de la recherche en informatique en France  il dépense beaucoup d'énergie en 1993 et 1994 à coordonner les travaux d'une vingtaine d'experts chercheurs et industriels, tout cela pour un rapport si vite oublié.... Maurice Nivat a toujours regretté que les politiques et les grands industriels n'aient pas déployé les efforts suffisants pour créer une puissante industrie informatique nationale ou européenne.

Il prend sa retraite en 2001.

Maurice Nivat avait fait sienne la mission de convaincre le monde universitaire et les pouvoirs publics de la nécessité de considérer l'informatique comme une science à part entière, devant construire ses fondations, et non un simple outil au service d'autres disciplines. Il n'a eu de cesse de sensibiliser la communauté scientifique autant que les décideurs aux enjeux économiques ou sociaux de l'informatique. Il était un homme passionné, au (très) fort caractère. Personnalité attachante, il a fait preuve tout au long de sa carrière d'une activité débordante, d'une vaste imagination, d'une inlassable curiosité, et d'un solide sens de l'humour !

Pionnier de l’informatique théorique française, mais aussi européenne, chercheur reconnu dans le monde entier, initiateur de grands programmes fédérateurs, Maurice Nivat occupe une place unique dans l’histoire de sa discipline.