Inria et Keolis : la modélisation au service de la sécurité

Date:
Mis à jour le 05/11/2020
Anticiper les phénomènes d’insécurité d’un réseau de transport urbain afin de disposer des équipes au bon endroit au bon moment ? Nous ne sommes pas dans un roman de science-fiction, mais à Lille, dans le métro, où l’équipe-projet INOCS* a mis en place un algorithme pour optimiser les plannings des agents.
Illustration métro
© Barbara Helgason - stock.adobe.com

Frédéric Semet et l’équipe de recherche Inocs*, dont il fait partie, ont la passion des problèmes complexes. Leur mission, utiliser les mathématiques pour trouver la solution qui optimise une multitude de contraintes. Prenons l’exemple de la tarification des billets d’avion, pour une compagnie aérienne : comment faire pour que l’entreprise vende toutes les places au tarif le plus élevé possible ?

Il ne suffit pas d’augmenter globalement tous les prix sans discernement, cela aurait tout simplement pour effet de faire fuir les clients vers d’autres compagnies. Il faut pour cela bien comprendre les mécanismes d’achat : à partir de quel montant le tarif semblera-t-il prohibitif à un passager ? Le confort est-il un argument suffisant pour la/le faire payer plus cher et combien ? Quelles sont les priorités de telle ou telle catégorie de passagers ? L’équipe Inocs* propose des solutions pour offrir une grille tarifaire qui optimise toutes ces contraintes.

 

La sécurité : un problème mathématique complexe

Et des contraintes, c’est bien ce à quoi étaient confrontées les équipes responsables de la sécurité sur le réseau de transport urbain de la métropole de Lille (MEL), opéré par Keolis. Le réseau de métro Ilevia (anciennement Transpole) compte deux lignes et 60 stations, qui transportent plus de 10 millions de voyageurs par mois. La MEL, qui a choisi d’attribuer à Keolis le contrat de gestion du réseau, lui impose également des objectifs en matière de sécurité et de "faits d’ambiance".

La loi Savary - Le Roux a en effet accru les pouvoirs des sociétés de transport en matière de lutte contre la fraude et contre les insécurités, si l’autorité de tutelle le lui délègue. « Nous nous sommes donc dotés d’équipes dédiées, prestataires externes ou salariés de Keolis, répartis entre contrôleurs et contrôleuses, équipes de sécurité et médiateurs et médiatrices », explique Christophe Laousse, responsable unité prévention. Ils se déplacent en binômes sur l’ensemble du réseau, du début du service à 5h17 jusqu’au dernier métro qui arrive à son terminus à 00h30. Or, ces agents doivent, comme le contrat signé avec la métropole le stipule, être visibles toutes les cinq stations et intervenir en moins de cinq minutes dans n’importe quelle station du réseau en cas de problème. Ils doivent également être présents en cas d’événement exceptionnel : installation de portiques de sécurité dans une station, manifestation publique etc.

Jusque à présent, les équipes réalisaient ce planning manuellement en utilisant leur connaissance du terrain pour disposer les agents tout au long de la journée sur le réseau. Une solution bien imparfaite. « La malveillance a un coût important : d’abord la remise en état des équipements coûte plusieurs centaines de milliers d’euros par an, ensuite elle entraîne une perte d’exploitation et enfin, la MEL nous impose des pénalités si elle constate que nous ne respectons pas les engagements du contrat », précise Christophe Merlin, directeur sûreté et lutte contre la fraude.

 

Un algorithme conçu "en mode agile"

L’équipe Inocs* et Keolis se sont donc rencontrés grâce à la cellule valorisation d’Inria, pour développer un nouvel algorithme, qui résout lui-même ce casse-tête toutes les deux semaines.

« Depuis cinq ans, nous enregistrons très finement les données de sécurité et tous les faits d’ambiance, explique Nicolas Chausson, responsable de l’observatoire sûreté et lutte contre la fraude. Nous entrons très précisément dans le détail dès qu’un agent de nos services constate quelque chose. »

La première étape a donc consisté en un vaste tri de ces données, pour n’en extraire que les informations utiles. Les chercheurs et chercheuses ont ensuite travaillé à partir de ce jeu de données, pour prédire les besoins en équipes de sécurité. « Nous avons commencé par réaliser des modèles mathématiques, sur des petits jeux de données, afin de trouver ensemble la bonne solution », précise Frédéric Semet. « Tout était abstrait, au départ, et grâce aux prototypes, nous avons pu nous faire une idée de ce que permettrait de réaliser le nouvel algorithme », commente Nicolas Chausson.

La collaboration a duré près d’un an et demi, au cours duquel le projet a été modifié, corrigé, amendé, avant de trouver la solution idéale : le meilleur compromis entre précision des modélisations et rapidité d’exécution.

« C’est là la plus grande différence entre des chercheurs, qui souhaitent parvenir au projet le plus parfait possible et des équipes opérationnelles, qui ont besoin d’une solution efficace et rapide » mais pas nécessairement "parfaite",  précise Christophe Laousse. En effet, l’algorithme parfait avait besoin de 45 minutes pour travailler, alors que celui qui a été retenu donne de très bons résultats en 5 minutes. Concrètement, l’algorithme tient compte de la base de données des incidents et faits d’ambiance reportés, des effectifs et des événements particuliers, pour construire un planning qu’il fournit sous forme de tableau Excel.

Les prochaines étapes de développement consisteront à prendre en compte le réseau de tramway, également très important dans la métropole lilloise, au premier semestre 2019. Enfin, les agents pourront bientôt faire évoluer leur planning en temps réel, en signalant des événements inattendus rencontrés pendant leur journée de travail.  

*Inocs est une équipe Inria commune avec le laboratoire CRIStAL et l'Université Libre de Bruxelles (Centrale Lille, CNRS, Université de Lille)