Cortex olfactif : les traces d’un passé vieux de millions d’années
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Mis à jour le 08/07/2025
À l’origine de ces résultats novateurs, il y a la rencontre en 2016 entre trois chercheurs et chercheuses accueillis au Collège de France : d’un côté, Sara Zeppilli et Alexander Fleischmann sont spécialistes en neurosciences, de l’autre, Anton Crombach explore la régulation des gènes et la bio-informatique. Au terme de leurs études, en 2018, les deux premiers rejoignent l’université Brown aux États-Unis, le troisième est recruté chez Inria dans l’équipe-projet Beagle.
« Malgré la distance, nous sommes restés en contact, se souvient Anton Crombach. L’idée de cette étude sur le cortex olfactif de la souris a été lancée par Sara, puis a mûri au fil de nos échanges. » Dix autres chercheurs et chercheuses rejoignent le projet à son lancement en 2021. Quatre ans plus tard, l’article publié dans Nature Neuroscience en 2025 atteste la portée remarquable de leurs recherches.
« La première singularité, c’est de nous être intéressés au cortex olfactif, reprend Anton Crombach. Très souvent, les travaux de neurosciences sur des animaux se focalisent sur le néocortex, propre aux mammifères, sans doute parce que chez l’Humain, il est particulièrement volumineux et gère notamment les fonctions cognitives supérieures. Mais c’est oublier l’importance de l’odorat chez beaucoup d’animaux, dont la souris. Nous étions prisonniers d’une forme d’anthropomorphisme. »
Ce pas de côté s’est montré judicieux : en comparant le fonctionnement neuronal du cortex olfactif de la souris et de son néocortex, les chercheurs ont découvert deux « systèmes » radicalement différents.
Au sein du néocortex, les neurones sont matures et ont des profils bien distincts ; leurs gènes sont activés par une palette de gènes régulateurs, qui s’expriment rarement au même moment. Une sorte de spécialisation des tâches, savamment élaborée au fil de millions d’années d’évolution.
En revanche, dans le cortex olfactif, les chercheurs remarquent des neurones au profil moins affirmé ; leurs gènes sont essentiellement activés par la même palette de régulateurs, mais qui souvent s’activent simultanément. Autrement dit, le fonctionnement neuronal présente une forme plus primitive et des rôles moins compartimentés. Les chercheurs estiment qu’il est donc plus souple et plus adaptable.
Le cortex olfactif conserve des signatures ancestrales, une identité restée intacte malgré des millions d’années d’évolution, complète Anton Crombach. Même s’il a aussi coévolué avec des structures cérébrales plus récentes comme le néocortex, il garde les marques moléculaires d’un passé très lointain.
Un autre résultat confirme cette analyse. Les chercheurs ont constaté que les neurones dits « glutamatergiques » (qui reçoivent les signaux olfactifs) ne sont pas les mêmes dans le cortex olfactif de souris de laboratoire et de souris issues de lignées sauvages. Or, les premières vivent dans un contexte stable et sûr, alors que les secondes affrontent un monde incertain et changeant. Là encore, il semble bien que le cortex olfactif soit plus « plastique », plus sensible à l’environnement. D’autant que les neurones glutamatergiques du néocortex, eux, sont identiques pour les deux populations.
Ces résultats ont frappé les relecteurs de notre article, se souvient Anton Crombach. Et ils ont formulé une demande supplémentaire : approfondir la comparaison que nous avions esquissée entre la souris et trois animaux apparus sur Terre des millions d’années avant elle, la tortue, le lézard et la salamandre.
Constat des chercheurs à l’issue de cette nouvelle investigation : les neurones glutamatergiques du cortex olfactif de la souris partagent plus de similarités moléculaires avec ceux de ces trois animaux « archaïques » qu’avec les neurones de son propre néocortex !
Sur l’aspect bio-informatique, domaine d’expertise d’Anton Crombach, il a fallu relever peu à peu plusieurs défis. Le premier : le traitement des volumes massifs de données générées par les expériences de ses collègues aux États-Unis. Le deuxième consistait bien sûr à interpréter toutes ces données.
Nous savions au départ que le cortex olfactif était un territoire inconnu. Il fallait s’attendre à des surprises, mais je ne pensais pas que ce serait à ce point ! Certains résultats étaient si déroutants que j’ai d’abord dû m’assurer de leur robustesse et de leur fiabilité, notamment avec des approches de machine learning. Puis nous avons pu commencer à leur trouver un sens.
Les chercheurs constatent en effet que les neurones des deux aires du cerveau (néocortex et cortex olfactif) mènent une activité génétique similaire et activent les mêmes fonctions ; mais avec des modes de régulation très différents.
« C’est un peu comme si deux personnes pratiquaient le même jeu, mais chacune avec ses règles propres. Moi qui suis spécialisé en régulation des gènes, je n’avais jamais vu ça. » Anton Crombach travaille ensuite sur la visualisation de ces résultats, pour les présenter sous forme d’images faciles à comprendre plutôt que de pages remplies de chiffres.
Enfin, le chercheur Inria a joué plus globalement un rôle de coordinateur informatique du projet. « Mes collègues ont des compétences dans ce domaine, bien sûr. Mais quand il fallait valider un nouvel algorithme ou trouver pourquoi un autre ne fonctionnait pas, c’est vers moi qu’on se tournait. » Ce qui lui a valu, avec le décalage horaire entre la France et les États-Unis, bon nombre de visioconférences nocturnes. « Cette publication dans une revue prestigieuse me paie largement de mes efforts. Je n’ai pas de regrets. »
Les chercheurs peuvent se targuer d’avoir mis en lumière une région du cerveau souvent négligée, et de contribuer aux connaissances sur l’évolution du cortex des vertébrés. Maria Tosches, la spécialiste en neuro-évolution associée au projet, se dit aujourd’hui fière d’avoir apporté « une pièce de plus à ce puzzle ».
Anton Crombach et Alexander Fleischmann, eux, se sont lancés sur un nouveau sujet : ils étudient les modifications de l'expression des gènes dans le cortex olfactif, lorsque la souris mémorise des odeurs.
Enfin, à Louvain (Belgique), une autre équipe de recherche a publié des travaux sur la comparaison entre le cerveau de souris et de poulets. Les résultats sont similaires à ceux observés dans la présente étude. Preuve qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé, mais sans doute du début de découvertes à portée bien plus large.