Aide à la décision

Chirurgie de l’obésité : le machine learning pour personnaliser le suivi des patients

Date:
Mis à jour le 03/02/2023
Un suivi personnalisé qui limite les coûts pour les patients et les médecins tout en optimisant les chances de détecter d’éventuelles complications après une chirurgie bariatrique (visant à réduire l’obésité). Voilà l’objectif du projet B4H. Ses outils ? Le machine learning et la modélisation. En commençant par celle concernant la perte de poids postopératoire.
Vue champ opératoire avec plusieurs chirurgiens
© Mat Napo - Unplash

À la croisée de l’informatique et de la santé

Fin 2017, le professeur François Pattou est venu me voir, se souvient Philippe Preux, directeur de l’équipe-projet ScooL du Centre Inria de l’université de Lille. Chirurgien au CHU de Lille, directeur d’une unité Inserm et professeur à l’université de Lille, il récoltait depuis 2006 des données sur les résultats de ses chirurgies bariatriques… et voulait savoir s’il était possible de les utiliser d’une manière ou d’une autre pour améliorer la prise en charge des patients. L’idée m’a plu car il s’agissait d’un beau défi !

Le professeur Pattou a en effet frappé à la bonne porte : l’équipe-projet ScooL est spécialiste de la prise de décision séquentielle dans l’incertain. C’est-à-dire qu’elle cherche à modéliser les conséquences d’une série de décisions alors même que l’environnement dans lequel elles sont prises change. Prédire les effets d’une chirurgie sur un patient, donc un environnement en évolution permanente, pouvait effectivement entrer dans son champ d’action ! « Cependant, fin 2019, nous n’étions que deux professeurs avec l’envie de faire quelque chose sur le sujet… mais il nous fallait des moyens », rappelle Philippe Preux.

Une modélisation entièrement personnalisée

Les deux chercheurs répondent à différents appels à projets et, fin 2018, se voient accorder 110 000 euros par la fondation I-Site ULNE (université Lille Nord Europe). De quoi rémunérer un doctorant, Patrick Saux. D’autres financements, notamment par Inria et par le projet européen Sophia, permettent de compléter l’équipe en recrutant un ingénieur pour l’analyse de données et un biostatisticien.

Il ne reste alors qu’à se mettre au travail… ce qui n’est pas si simple. « Nous avions la volonté de travailler ensemble, nous avions des données, mais dans un tel contexte multidisciplinaire, il nous fallait du temps pour apprendre à nous connaître et à nous comprendre. Et il nous manquait une question précise à laquelle répondre, souligne Philippe Preux. Que pouvait-on mesurer ? Que pouvait-on prédire qui soit pertinent pour les médecins et leurs patients ? » La réflexion prend plus d’un an et permet finalement d’identifier une problématique d’intérêt : prédire l’utilité des visites postopératoires, à plus ou moins long terme, pour chaque patient.

« Le mot-clé derrière cette idée, est la personnalisation, insiste Philippe Preux. Savoir si, pour un individu donné, le coût d’une visite, en termes de mobilisation des médecins, de déplacement du patient, etc., peut être optimisé par rapport à ce qu’elle rapporte : la détection d’une éventuelle complication ». En mathématiques, il s’agit du problème du bandit : comment optimiser une récompense par rapport à un coût lors d’une série de décisions aux conséquences incertaines. « Avec ici une spécificité, puisque les deux options, faire venir ou ne pas faire venir le patient, ne sont pas symétriques, note Patrick Saux. Il y a en effet une importance particulière accordée au risque et dans le doute, il faudra faire venir le patient. »

Première étape : prédire la perte de poids

Le nom du projet de l’équipe est ainsi révélateur : B4H, Bandits For Health. Mais avant de faire appel aux bandits pour l’optimisation des visites, encore faut-il disposer d’outils qui permettront d’évaluer l’état du patient et son risque de complication. Les chercheurs ont donc commencé par poser une première brique en créant des algorithmes capables de prédire, de manière personnalisée, la perte de poids attendue après une chirurgie bariatrique.

Les données dont nous disposions pour chaque patient étaient vastes mais le nombre de patients, lui, était restreint à quelques milliers, précise Patrick Saux. Nous avons donc compensé ce relativement faible échantillon en nous appuyant sur l’expertise des médecins et des diététiciens. C’est là tout l’intérêt du travail interdisciplinaire.

Le modèle mis au point aboutit à une courbe, propre à chaque individu, décrivant l’évolution attendue du poids jusqu’à cinq ans après la chirurgie. Ce qui présente plusieurs avantages. D’abord, pour le patient, qui peut réellement visualiser sa future perte de poids. « Certains ont des attentes irréalistes avant une chirurgie bariatrique. Un support visuel permet d’éviter un trop grand décalage avec la réalité et de mieux accepter l’opération », estime Patrick Saux. Ensuite, pour le médecin, car un écart important avec l’évolution prévue peut être synonyme de complication, d’un besoin de réopérer ou de changer le traitement postopératoire. 

Un apprentissage automatique et robuste

« Les algorithmes utilisés pour ce modèle reposent sur des arbres de décision, c’est-à-dire des séries de questions : l’âge du patient, son poids, s’il est fumeur ou non, s’il a du diabète, le type de chirurgie envisagée…, poursuit le doctorant. Ils sont très robustes, leurs prédictions sont relativement précises et ils sont en outre facilement interprétables. Les médecins ont ainsi pu vérifier que les algorithmes prenaient en compte suffisamment de critères, et des critères pertinents, pour faire leurs prédictions. »

Les experts en santé ont également contribué à affiner les algorithmes de lissage : le modèle n’étant créé qu’à partir de données récoltées ponctuellement (avant la chirurgie, puis après trois mois, un an, deux ans…), il fallait combler les vides entre ces collectes. « Là encore, le médecin sait à quoi ressemble habituellement la courbe de poids, donc il nous aide à chercher dans la bonne direction », apprécie Patrick Saux.

La collaboration entre professionnels de l’informatique et de la santé a ainsi donné naissance à un modèle juste. La preuve : il a été testé avec succès dans différents hôpitaux des Hauts-de-France et même sur huit cohortes internationales, dont l’une comptant 6 000 patients aux Pays-Bas. Cette étape de validation a d’ailleurs conduit l’équipe à créer un premier site Internet afin que les partenaires puissent entrer les données de leurs patients et accéder aux résultats. L’ergonomie du site a ensuite été retravaillée, toujours en concertation avec les médecins, afin de servir notamment aux généralistes.

Vers une prise de décision automatisée

L’équipe travaillant sur le projet B4H continue en parallèle à perfectionner son modèle pour le rendre dynamique, c’est-à-dire capable d’évoluer au cours du temps en fonction des données qui seront mesurées sur le patient à chaque visite de contrôle. Il sera alors enfin utile pour le déploiement des bandits. « Nous pourrons utiliser le squelette de ce modèle pour en créer d’autres capables de prédire d’autres complications, comme le diabète ou la dénutrition, avance Patrick Saux. Et la combinaison de ces différents modèles sera faite par des algorithmes de bandits qui permettront une suggestion d’action / décision concernant la pertinence ou non d’une visite, au CHU ou chez le généraliste. »

C’est là tout l’enjeu de la deuxième partie de la thèse de Patrick Saux, qui s’achèvera en 2023. L’ANR (Agence nationale de la recherche) a en outre accordé un financement sur quatre ans pour la suite de B4H à partir de 2023… les bandits vont pouvoir continuer à courir.