Catherine Bonnet : À 17 ans, je n’envisageais pas de ne pas faire des maths à temps plein

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Mis à jour le 24/02/2020
Pour la première Semaine des mathématiques , du 12 au 18 mars, la thématique choisie est "Femmes et maths". L’occasion pour nous de mettre en avant trois chercheuses responsables d’équipes dans le centre de Saclay, trois profils et parcours différents mais où chacune vient nous parler de son choix de travailler dans les sciences et dans la recherche. Cette semaine, rencontre avec Catherine Bonnet, responsable de l’équipe Disco.
Catherine Bonnet
© Inria / Photo H. Raguet

J’ai eu le goût des maths dès le début, au collège/lycée c’est ce que je préférais. J’aimais les choses carrées, quand il y avait une problématique de départ et que l’on arrivait à une réponse claire et indiscutable. À 17 ans, je n’envisageais pas de ne pas faire des maths à temps plein. C’était une passion, mais après tu te questionnes sur ce que tu peux vraiment faire comme métier, ce qui va te permettre tout simplement de vivre ! À l’époque je ne savais pas que l’on pouvait faire de la recherche en mathématiques, donc je pensais à prof de maths…

Dans mon parcours à la fac, j’ai commencé par une licence de mathématiques pures, puis enchaîné avec un master de mathématiques appliquées parce que je voulais me rapprocher d’un domaine avec des problèmes à résoudre tout en commençant à envisager le métier d’ingénieur. Dans la lignée, j’ai fait une thèse sur un sujet appliqué en aéronautique, sur la réduction du modèle mathématique du rotor de l’hélicoptère Dauphin. C’était de l’ingénierie de haut niveau, mais toutes les techniques existaient déjà, je raffinais la théorie sur un exemple particulier, mais sans certitude que ça pourrait s’appliquer à un autre exemple. Ce n’était pas universel mais une résolution particulière. Moi, ce qui m’intéressait, c’était la théorie qui permettrait de résoudre n’importe quel cas, je ressentais le besoin de développer de nouvelles méthodes, de faire de la recherche académique. Je me suis donc réorientée vers une autre thèse. Je m’étais intéressée à un cas particulier de réduction de modèle en dimension finie (passer de 15 équations à 7 équations pour décrire un système), j’ouvrais le problème pour passer en dimension infinie (un vecteur défini par une infinité de points). Après un rapide poste d’enseignement des maths à l’université, j’ai réalisé deux postdocs qui ont vraiment marqué mon parcours.

Dans mon premier postdoc Marie Curie en Angleterre, j’ai travaillé avec un "vrai" matheux pur. Il était rigoureux, avec cet élan pour la recherche vraiment gratuite, ce goût, cette curiosité, cet enthousiasme quand tu résous un truc. Ça ne reste que des petites choses, mais collaborer avec quelqu’un comme ça, à ce moment-là quand tu viens juste de passer ta thèse, c’est travailler avec quelqu’un qui est comme toi dans le plaisir de progresser, de comprendre mieux, qui n’est pas dans l’inquiétude de publier rapidement un article dont il n’est pas pleinement satisfait. C’était quelqu’un capable de ressortir un bout de papier sur le quai d’une gare en attendant le train et de te dire « J’ai repensé à ton problème de l’autre fois… ».

Le deuxième postdoc, je l’ai réalisé au centre de Rocquencourt, auprès de Michel Sorine. Après ces maths pures, ça m’a permis de ne pas rester enfermée dans une potentielle autoalimentation où tu t’intéresses à 1000 petits problèmes de mathématiques dans un domaine où ils ne se poseront peut-être jamais, mais de me rattacher à quelque chose. Je n’avais pas fait d’automatique jusque-là, donc Michel Sorine a dû m’apprendre tout ce qui me manquait en contrôle des systèmes. Il m’a remise dans un contexte, me rappelant qu’on fait tout ce travail pour contrôler des systèmes et qu’à la fin ça doit tourner. À ce moment-là de mon parcours, même si j’avais déjà le goût pour résoudre des problèmes concrets, c’était une étape marquante de travailler avec une telle personnalité.

 

Je pense que pour faire des avancées qui auront un impact,
il faut savoir sortir du monde des maths
et communiquer avec d’autres domaines.

 

 

Juste après, j’ai été embauchée chez Inria dans le même projet. Dans ce poste, il était possible de pousser les techniques théoriques à fond, avec en même temps des exemples concrets malgré tout. J’ai toujours aimé les techniques mathématiques pour faire des choses universelles, utilisables par tout le monde, cet empilement des connaissances où n’importe qui peut utiliser le résultat à la fin. Mais pour moi ce n’est pas contradictoire d’aimer aussi résoudre des problèmes. Le tout est de le faire de façon "propre", c’est-à-dire que si le problème est trop difficile au départ et que l’on fait une approximation pour le résoudre, si l’on n’est pas capable de mesurer l’approximation pour donner une réponse précise, cela ne m’intéresse pas.

Dans mon domaine du contrôle, je ne veux pas faire des maths pour faire des maths, sans lien réel avec des choses applicables. Ça paraît simple, mais pourtant on est vite pris dans ce jeu avec les maths, où quand tu résous un problème tu es tentée de vouloir résoudre un autre problème très proche où tu changes juste un peu les hypothèses, et ainsi de suite… Il ne faut pas tourner dans sa bulle, rester dans ces problèmes qui s’autoalimentent. Il est possible de faire beaucoup de choses sans sortir du monde des maths, mais je pense que pour pouvoir faire des avancées qui auront un impact à un moment donné, il faut savoir sortir de ce monde-là et communiquer avec d’autres domaines. Le clivage pur/appliqué n’a pas grand sens dans l’absolu car au final, par rapport aux collègues, tu es toujours l’appliqué de quelqu’un ou le théorique de quelqu’un d’autre. Ce qui est excitant dans notre équipe c’est la rencontre de techniques très différentes et très complémentaires au service d’une même problématique.

Peu de temps après avoir été recrutée chez Inria, vers 96-97, j’ai rencontré l’association Femmes et maths. C’était grâce au forum des jeunes mathématiciennes, organisé à l’époque tous les ans, où j’étais allée simplement parce que ma meilleure amie était venue exposer son projet parmi d’autres doctorantes. Après les séances techniques de recherche, il y avait des séances d’ouverture, de discussion, sur les femmes et les sciences, leur place dans l’histoire, dans la société. Et du coup, je l’ai vécu comme un espace de discussion où on partageait une vision conceptuelle de la place des femmes. Il y avait ce mélange d’expériences, on sentait quelque chose de bouillonnant, d’actif, dans un état de recherche de pourquoi, comment on en était arrivé là. Ce n’était pas seulement dans un côté militant, on savait qu’il y avait tout à faire, et qu’il fallait s’engager pour accueillir chaque année de nouvelles femmes chercheuses. Les fondatrices avaient créé l’association en 87, à la mise en place de la mixité des Écoles normales supérieures (ENS), où on était passé d’une promotion entière de jeunes mathématiciennes à seulement quelques filles intégrées dans ces promotions mixtes. On ne comprenait pas pourquoi tout d’un coup il n’y avait quasiment plus de filles dans ces grandes écoles. Aujourd’hui il faut vraiment que les chercheuses se mobilisent pour faire vivre l’association, car les sollicitations se multiplient, mais on manque de bras pour faire fonctionner tout ça. Dans le même temps, cela devient difficile d’ajouter un engagement de ce type dans les carrières que l’on nous impose maintenant. Pourtant on sait que les actions comme ces forums de rencontres entre doctorantes et chercheuses confirmées ou les journées « Filles et maths, une équation lumineuse » organisées avec Animath pour les collégiennes et les lycéennes ont toujours des retombées très positives.

Thématique : Contrôle de systèmes interconnectés dans des environnements complexes

Un système est un ensemble d’éléments qui est soumis à une entrée, c’est-à-dire une commande, et qui fournit une sortie, autrement dit un résultat. Pour que le système produise la réponse désirée, il faut pouvoir le contrôler, et donc trouver la bonne formule mathématique. Dans l’équipe Disco, nous travaillons sur des environnements complexes, comme la perte de connexion, la perte d’informations ou encore prendre en compte le facteur humain dans les boucles de décision. Ce type d’outil mathématique permet d’aider par exemple dans le traitement de la leucémie myéloïde aiguë, où le système est alors le patient ou la patiente et le contrôle est le médicament. Grâce à notre apport en mathématiques, nous pouvons voir que si l’on donne tel ou tel médicament, on obtiendra la sortie désirée, c’est-à-dire que la population de cellules revienne à un niveau normal.